lundi 27 décembre 2010

Des songes spéculatifs, et allégoriques, ou significatifs.

Règles interprétatives AU LECTEUR
Prends ce livret fait par Artémidore,
Il te rendra content te disant plus.
PREMIER LIVRE D’ARTEMIDORE.
Des songes spéculatifs, et allégoriques, ou significatifs.
Il y a des songes qui sont spéculatifs, et correspondent à leur vision. Comme quelqu’un a songé que le Navire où il était périssait, et au réveil il arriva que c’était vrai, et il se sauva avec peu de gens. Les autres sont allégoriques, qui par une chose signifient une autre, l’âme nous avisant naturellement qu’il y a je ne sais quoi de secret caché dessus, dont je donnerai une définition du Songe en général, contre laquelle on ne pourra rien alléguer sauf chez les esprits chicaniers. Songer est un mouvement ou une fixation de l’âme en diverses formes et qui signifie des bonheurs ou des malheurs à venir. Les songes qui ne s’étendent point à autrui, étant seulement en eux et envers ceux qui les voient, et non envers autrui, ni par autrui : ils adviendront à ceux qui les voient, comme parler, chanter, danser, combattre et nager. Mais ceux qui sont autour du corps, ou des choses externes, comme lits, coffres, habits, et meubles, [p. 9] même s’ils sont propres et particuliers, si est ce que souvent advient aux prochains selon la nécessité et propriété de l’usage. Et en cette sorte la tête signifie le père, la main droite la mère, le fils et le frère, la main gauche signifie la femme, l’amie, la fille et la sœur. Or est-il que des songes communs, et qui s’entendent à autrui, tous ceux qui se sont par nous et en nous, ou envers nous seulement, ils doivent être réputés appartenir à nous particulièrement. Et au contraire, tous ceux qui ne se sont pas à nous, ou envers nous, ni par nous adviendront à autrui; toutefois si ce sont nos amis, et que les songes soient significatifs de bien, la joie nous en sera double, et au contraire, la tristesse; mais si ce sont nos ennemis, il faut estimer et juger aussi au contraire.
De Naître.
Si quelqu’un songe qu’il sort du ventre d’une femme, comme pour naître au monde, il faut juger en telle sorte. Ce songe est bon à celui qui est pauvre, car il aura des moyens ou des amis qui le nourriront; mais s’il est artisan, et d’un métier qui requiert qu’on travaille des mains, le songe lui prédit qu’il sera sans oeuvrer, comme les enfants qui ont les mains enveloppées. A celui qui est riche, ce songe signifie qu’il n’aura pas le contrôle de sa maison, mais que d’autres domineront sur lui contre sa volonté : car les enfants sont gouvernés par autrui. A celui dont la femme n’est pas enceinte, cela signifie qu’il perdra sa femme, car les enfants ne sont pas mariés et hantent les femmes. Mais à celui dont la femme est enceinte, c’est qu’il aura un fils qui lui sera du tout semblable. Et en cette sorte il lui semblera qu’il est né deux fois. Aux champions et combattants, ce songe est mauvais : car les enfants ne cheminent ni ne courent et ne peuvent assaillir aucun. A celui qui est en lointaine région, c’est qu’il retournera chez lui, afin qu’il retourne à son commencement. A celui qui est malade, c’est la mort, attendu que les Morts sont enveloppés de linges et drapeaux comme les enfants, et étendus en terre.
D’être gros d’enfant.
Si quelqu’un, étant pauvre, songe qu’il est enceint d’enfant, il deviendra riche et amassera de l’argent à grand tas. S’il est riche, il sera en peine et soucis.
Qui a femme, la perdra, n’ayant plus besoin qu’elle lui fasse d’enfants. Qui n’en a point en aura une bien douce. Aux autres, ce rêve signifie maladie. Mais être enceint puis enfanter, c’est pis : car il veut dire que le malade mourra bientôt. Mais à celui qui est pauvre et endetté, vit en peine et misère, c’est la fin et la décharge de tous ses maux présents. Aussi ce songe révèle les secrets. Ce songe est contraire aux riches usuriers, négociateurs, et à tous qui sont en autorité : car ce qu’ils avaient auparavant, ils le perdront. Mais aux marchands et navigateurs, ou à ceux qui ont navires ce songe est bon. A plusieurs est advenu après ce songe perte de parents.
D’avoir enfant.
Songer de voir ou avoir des enfants en propre et non d’autrui, est mauvais à l’homme et à la femme : car c’est souci et tristesse des choses nécessaires, sans lesquelles on ne peut nourrir les enfants. Mais les mâles apportent bonne issue. Les filles apportent une fin pire que le commencement, car elles sont mariées avec dot. J’ai connu un homme qui songea qu’il lui était né une fille, et il emprunta de l’argent à usure. Et au contraire j’ai connu un autre qui songea qu’il enterrait sa fille trépassée, et il lui advint qu’il fut contraint de payer la dette dont il était obligé, ainsi donc la fille a convenance avec la dette : mais voir des enfants d’autrui est bon quand ils sont beaux et de bonne grâce : car cela signifie approcher bon temps.
Des enfants enveloppés de drapeaux et linges, et du lait.
Si quelqu’un se voit enveloppé de drapeaux à la façon des petits enfants et sucer la mamelle d’une femme qu’il connaisse, c’est longue maladie, s’il n’a sa femme enceinte. En ce dernier cas, il lui naîtra un fils qui lui ressemblera. Et si la femme fait ce songe, il lui naîtra une fille. Mais si quelqu’un étant en prison fait ce songe, le diable lui suscite encore quelques charges, avant qu’il ne soit délivré. Et n’est pas hors de raison juger le semblable en la maladie : mais se voir par songe avoir du lait en ses mamelles : à la jeune femme, c’est qu’elle concevra et son fruit viendra à perfection. A la vieille étant pauvre cela signifie richesses; étant riche, dépense et largesse. A la fille, ce sont ses noces qui approchent, car sans être accouplée avec l’homme elle ne pourrait avoir de lait; mais si elle est bien petite fille et loin du temps d’épouser, celui signifie mort : car toutes choses advenant en-dehors de l’âge requis sont mauvaises, à peu d’exceptions près. A l’homme pauvre, c’est abondance d’argent et de possessions, de sorte qu’il puisse nourrir les autres. Davantage j’ai connu par expérience que ce songe prédit à celui qui n’est point marié mariage. A celui qui n’a point d’enfants, il en aura. Mais au champion et artisan et à tous ceux qui de leur état travaillent et meuvent le corps, il signifie maladie : car les corps féminins ont du lait, de même j’ai connu que quelqu’un ayant femme et enfants, à qui était advenu ce songe, perdit sa femme par mort : et puis après lui même nourrit ses enfants, faisant envers eux office de père et de mère ensemble.
De la teste.
Songer avoir grande tête, est bon à l’homme riche, qui n’a point encore grand état ni dignité. Aussi à celui qui est pauvre, au champion, à l’usurier, au changeur, et à celui qui recueille l’argent pour le vivre : car en premier ce songe prédit principauté ou dignité, en laquelle il faudra qu’il porte couronne, sceptre ou diadème. Au second grandes richesses de possessions, au champion, victoire; au changeur et usurier, amas de grandes sommes d’argent. Mais au riche qui est déjà en dignité, et au rhétoricien, et au juge du peuple, ce songe apporte charges de par le peuple. Et à celui qui est malade c’est douleur de tête. A l’homme de guerre travaux et peines. Au serf longue servitude. Et à celui qui a élu vie tranquille, c’est peine et fâcherie. Mais avoir la tête plus petite que la proportion naturelle, signifie choses contraires selon la raison de la signification de chaque tête ci dessus décrite, portant différence pour différentes qualité de personnes.
Des cheveux longs.
Avoir les cheveux grands et beaux et y prendre gloire, est bon principalement à la femme, et aussi à l’homme sage, au Sacrificateur, au devin, au roi et Prince : car à ceux qui ont coutume de laisser croître leurs cheveux, ce songe est bon, attendu que leur profession leur permet d’entretenir leur perruque. Il est bon aussi aux autres, mais non pas tant : car il leur signifie seulement richesse, laborieuse non joyeuse, car il faut du temps et de la peine pour produire de longs cheveux.
Du poil de Porc et de Cheval.
Songer avoir poil de Porc, signifie grands périls violents, et tels que sont ceux auxquels la bête est sujette, à savoir le Porc. Avoir poil de Cheval c’est servitude et misère.
Avoir laine au lieu de cheveux.
Avoir de la laine au lieu de cheveux, prédit longues maladies, et la grattelle, et souvent ayant de la laine en la tête, il pensera quasi qu’elle lui est naturelle. Si les cheveux semblent être changés en quelque autre matière, il faudra semblablement faire conjecture, c’est à dire selon la nature de la transmutation aussi. S’il se voit sans poil à l’entour de la face, c’est honte prochaine, et empêchement d’affaires présentes. Mais voir la partie de derrière la tête en telle sorte, c’est pauvreté et infortune en la vieillesse. Si aucun a la partie droite de la tête chauve et nue, il perdra tous ses parents mâles, et s’il n’en a point il aura dommage. Si au contraire, la partie gauche de la tête est sans poil, c’est perte de cousines et alliées : car la tête signifie les parents : la partie droite, les mâles, la gauche les femmes, et ainsi par tout le corps. Avoir tout le derrière de la tête nu, est bon à celui qui est connu en Justice, qui a crainte, et qui est référé et détenu par force : car il pourra fuir et éviter, attendu qu’on ne saura comment les prendre par derrière en fuyant.
Se voir tondre ou raser.
Se voir raser tout le chef, est bon aux baladins qui ont coutume de faire rire, et à ceux qui communément sont rasés. À tous les autres il est mauvais car il signifie autant que nudité et calvitie, mais il apporte plus grands maux et plus prochains. Aux marins c’est évident naufrage, aux malades grand péril non pas mort toutefois : car ceux qui sont sortis de naufrage et de grande maladie se rasent, mais non pas les morts. Être tondu par le Barbier, est bon à tous généralement : car certes nul en quelque cas dangereux ne se tond, mais ceux qui aiment l’honnêteté ou qui sont sans tristesse et indigence. J’ai dit par les mains du Barbier : car si quelqu’un se tond soi-même, cela signifie tristesse subite, ou infortune pleine de grands maux. Au surplus, c’est qu’il acquittera aux autres ses dommages par ceux qui le grattent.
Du Front.
Le Front sain et charnu est bon à tous, et signifie liberté de parler, force et confiance. Mais songer avoir le front d’airain, de fer ou de pierre : aux taverniers, et à tous qui vivent avec impudence sans honte et vergogne est bon, et à eux seulement, aux autres cela engendre haine.
Des Oreilles.
Avoir plusieurs oreilles, est bon à celui qui veut avoir quelqu’un d’obéissant, comme femme enfants, serviteur. Au riche, signifie grand renom en bien si les oreilles sont belles et bien formées, ou en mal, si les oreilles sont laides et difformes. Ce songe est mauvais au serf, même à celui qui a procès comme demandeur ou défendeur, mais il est bon à un artisan et ouvrier qui travaille des main : car il y en aura plusieurs qui le demanderont pour faire une besogne. Perdre les oreilles, c’est le contraire de chacune des choses susdites. Curer ses oreilles, c’est bonne nouvelle qui nous viendra de quelque part. Et au contraire les oreilles battues et frappées, prédisent mauvaises nouvelles.
Des fourmis entrant aux oreilles.
Songer que les Fourmis entrent dans les oreilles est bon seulement aux Sophistes, Philosophes et Précepteurs : car les Fourmis sont semblables aux enfants qui vont ouïr les Sophistes. Aux autres, ce songe signifie la mort : car elles sont filles de la terre, et entrent dedans la terre. J’en ai connu un qui songea que de ses deux oreilles étaient sortis des épis de blé, et que le blé en tombait dans ses mains et il s’ouït appeler héritier d’un sien frère mort, à cause des épis : Héritier de son frère, à cause des oreilles, qui sont comme frères et sœurs. Songer d’avoir oreilles d’âne, est bon seulement aux philosophes : car un âne ne peut mouvoir facilement les oreilles; aux autres, c’est servitude et misère. Avoir oreilles de Lyon, de Loup ou de quelque autre bête cruelle, c’est fraude par envie. Au surplus, songer avoir les yeux aux oreilles, signifie aveuglement.
Des sourcils.
Les sourcils velus et de bonne grâce, sont bons à toux, et même aux femmes. Mais les sourcils nus et sans poil, signifient à tous mauvaise issue des affaires, deuil et douleur.
Des yeux.
Avoir vue aiguë est bon généralement à tous. Mais la vue trouble signifie faute d’argent, et empêchement d’affaires. A celui qui a enfants, c’est qu’ils seront malades. Être aveugle du tout, c’est perte des enfants, de frère, de père et mère. Toutefois ce songe est bon à celui qui serait en prison, et à celui qui est grandement pauvre : car le premier ne verra plus autour de soi les maux. Le second aura qui lui aidera et fera plaisir, comme plusieurs sont prêts à donner la main à un aveugle. Mais ce songe empêche de faire longs voyages, et prédit aussi à celui qui est en pays étranger, qu’il ne retournera pas chez lui : car celui qui a perdu la vue, ne pourrait voir, ni pays étranger, n’y sa maison. Aussi est mauvais ce Songe à l’homme de guerre, et aussi à tout courtisan : car leurs affaires n’auront point bonne issue. Aussi est contraire aux marins, et à ceux qui contemplent les étoiles et aux devins. Et si aucun cherchant une chose perdue voit ce songe là, jamais ne la retrouvera. Aux poètes ce songe est bon : car ils ont besoin de grand repos quand ils veulent composer en vers. Aux malades ce songe leur apporte toujours la mort. Si quelqu’un songe avoir perdu un œil, les choses prédites et signifiées lui adviendront en partie et comme à demi. Davantage il faut considérer que l’œil droit signifie le fils, le frère, le père, et le gauche la fille, la sœur et la mère. Avoir trois ou quatre yeux à celui qui a envisagé prendre femme, et à celui qui n’a point d’enfants est bon et qui désire en avoir. C’est bon aussi à l’usurier : car il aura grandes sommes de deniers. Mais à celui la qui doit, c’est mauvais. Au riche cela annonce qu’il se donne bien garde de soi, et de ses possessions, pour raison de quelques fraudes et menées secrètes. Et à l’homme trompeur et à la femme belle, avoir plusieurs yeux n’est pas bon : car celui-là aura plusieurs yeux qui le surprendront, celle-ci aura plusieurs paillards qui seront surpris autour d’elle. Au surplus si quelqu’un songe avoir des yeux aux pieds, ou aux mains, perdre la vue si en autre partie du corps, ceste partie là sera malade, battue ou affolée. J’ai connu homme qui songea que ses yeux lui étaient tombez aux pieds, et il n’en devint pas aveugle, mais maria ses filles avec ses serviteurs. Avoir les yeux d’autrui, signifie perdre la vue, mais si on connaît celui de qui on a les yeux, on aura son enfant ou quelque grand bien de lui.
Du Nez.
Avoir le nez beau et grand, est bon à tous : car il signifie subtilité de sens, et providence aux affaires, et accointance avec grands personnages. Mais n’avoir point de nez, signifie le contraire. Et au malade la mort : car la tête des morts n’a point de nez. Avoir deux nez c’est discorde avec les domestiques plus apparents.
Des Joues.
Avoir les Joues refaites et pleines, est bon à tous, même aux femmes, mais plates et pleines de furoncles, c’est tristesse.
Des Mâchoires et des Lèvres.
Les mâchoires sont reliées aux caves, boutiques, et autres choses propres à garder marchandises ou drogues. Les lèvres sont reliées à ceux qui nous baisent ou embrassent et qui sont souvent autour de nous comme la femme, les enfants, les parents et alliés. Si l’un ou l’autre nous semble avoir quelque mal ou difformité, c’est que les affaires de nos alliés ne sont pas en bon état.
De la Barbe.
Avoir la barbe longue et épaisse, et rude, est bon à celui qui est curieux de bien parler, comme serait un ambassadeur, orateur, avocat, aussi un philosophe, et à celui qui veut entendre quelque affaire. Si la femme veuve songe avoir barbe, elle recouvrera mari, ce qui lui sera doux et bien. Si elle est mariée elle perdra son mari, ou sera séparée de lui, gouvernera sa maison seule, comme si elle était homme et femme tout ensemble, sauf si elle est enceinte, ou connue en justice : car celle-là fera un fils et celle-ci demeurera en son entier, ayant haut cœur et honneur comme si c’était un homme. Au jeune enfant ce songe signifie mort, mais à celui qui est déjà en adolescence commençant à porte Barbe, c’est signe qu’il parviendra de soi-même, et se mettra en avant, de quelque qualité qu’il soit. La barbe tombant, ou rasée, ou à force arrachée par mains d’autrui outre ce que signifie perte de parents, c’est aussi dommage et déshonneur.
Des dents.
Les dents de dessus, signifient les membres les plus apparents de la maison, et celles de dessous les inférieurs : car il faut estimer que la bouche représente la maison, les dents, les habitants. Celles du côté droit, les hommes, et les autres les femmes. Ou autrement les droites, les plus vieux, les gauches, les plus jeunes. Les dents de l’œil, ceux d’âge moyen, les grosses dents, les vieux. Quelque dent donc que l’homme songera perdre, il perdra tel personnage que la dent signifierait. Mais les dents signifient aussi perte de biens. Par les grosses sont entendus les trésors cachés, et par les autres la vaisselle, ou autre chose de petite importance. A ceux qui sont en dette, si une dent quelconque leur tombe, cela signifient qu’ils s’acquitteront. Les dents tombant toutes en un coup, cela signifie que la maison sera déserte et abandonnée de tous les habitants. A ceux qui sont malades, songer que quelque dent ou dents leur tombent, c’est longue maladie, mais sans mort. Le meilleur serait de songer perdre toutes les dents : car on serait plutôt relevé de maladie.

Au serf, n’avoir nulle dent : c’est liberté. Aux marchands, brève et bonne issue de leurs marchandises, charges et trafics. Les dents qui semblent croître de sorte que l’une surpasse l’autre, c’est sédition en la maison, ou si elles semblent bouger mais sans tomber. Ceux qui ont les dents noires, pourries, rompues, et songent les perdre, seront délivrés de leurs maux et fâcheries. Aussi par ce songe certains ont perdu des vieillards. Avoir les dents d’or est bon à ceux qui s’étudient de bien parler : aux autres c’est dommage par feu en la maison, à d’autres maladie d’abondance de colère. Avoir des dents de cire, c’est mort subite de plomb ou d’étain, c’est vergogne et déshonneur; de verre ou de bois, mort violente; d’argent, c’est acquérir argent par éloquence et beau parler. A riche c’est grande dépense en vivres et provisions. Songer perdre des dents et en recouvrer d’autres, c’est changement d’état en bien ou mal selon la qualité des dents. Recevoir ses dents en sa main, ou en son sein, c’est perte d’enfants. Regratter ses dents de la langue, c’est mettre fin à ses peines et misères par son éloquence.
Du vomissement de sang et d’humeurs, colériques et mélancoliques.
Vomir beaucoup de sang et de bonne couleur, est bon à celui qui est pauvre : car il acquerra abondance d’argent. Aussi est bon à celui qui n’a point d’enfants, et qui a son parent en pays étranger. Le premier verra un sien enfant, l’autre son parent de retour. Porter du sang n’est pas bon à celui qui veut être caché. Vomir du sang corrompu, c’est maladie à tous. Jeter un petit peu de sang comme en crachant c’est sédition, ainsi comme je l’ai connu par expérience. Vomir flegmes, soit humeurs colériques ou mélancoliques, est bon à celui qui est en misère, et angoisse, ou maladie, car il signifie cesser tous ses maux. Vomir ses entrailles, c’est mort d’enfants, c’est perte de chose la plus chère qu’ils aient entre leurs biens; au malade, c’est la mort.
Du col et d’avoir plusieurs têtes.
Tout sur ongle, maladie ou imperfection autour du col, de la tête, ou de la barbe, signifie à tous indifféremment maladie. Avoir deux ou trois têtes, est bon à celui qui est pauvre : car il amassera beaucoup de biens et aussi aura femme et enfants de bonne nature. Au riche c’est adversité de la part de ses alliés.
D’être décapité.
Songer d’être décapité soit par justice ou autrement, est mauvais à celui qui a père et mère et enfants, car il signifie les perdre. D’aucuns aussi, par ce songe, ont perdu femmes, amis, métayer. Et quelque autre ayant maison l’a perdue. Et qui toutes choses n’aura par toutes ces fortunes, mais comme j’ai connu par expérience, il perdra ce qui lui est plus nécessaire et qu’il aura le plus cher. Ce songe est bon à celui qui est accusé de crime et en danger de mort. Mais aux changeurs, usuriers, patrons de galères, ou marchands, et à tous qui recueillent argent, il signifie perte de somme d’argent. Le songe est bon à ceux qui doivent. Celui qui est en pays étranger retournera en son pays. Qui a procès d’héritage, gagnera sa cause, mais en cause d’injure et d’argent, il la perdra.
D’avoir le col tordu.
Avoir la tête renversée de sorte qu’elle regarde sur le derrière, annonce de ne pas partir du pays et de n’entreprendre aucune affaire, autrement l’issue en serait mauvaise. Ceux qui sont en pays étranger, retourneront chez eux.
D’avoir la tête de quelque bête
Penser avoir la tête d’un lion, d’un loup, d’une panthère, d’un éléphant au lieu de la sienne, est bon : car entreprenant choses plus grandes que sa puissance, celui qui aura fait ce songe, en viendra à chef et honneur. Plusieurs désirant offices et dignités, y sont parvenus après ce songe. Songer avoir tête de chien, de cheval ou d’âne, ou d’autre bête à quatre pieds, c’est servitude, peine et misère. Avoir tête d’oiseau, c’est qu’on ne demeurera pas en son pays.
Avoir la tête entre ses mains.
Songer avoir sa tête entre ses mains, est bon à celui qui n’a femme ni enfants, et à celui qui désire le retour de quelqu’un étant lointain. Et si l’on a encore souci de peigner et parer ceste tête qu’on pense tenir entre ses mains, c’est signe qu’on disposera bien de ses affaires, et qu’on aura fin des maux et adversités. Même chose, si avec cette tête qu’on tient aux mains, on pense encore en avoir une autre naturelle.
Avoir des cornes.
Songer avoir des cornes de Boeuf, ou de autre telle sorte de bête, signifie mort violente et le plus souvent décollation, laquelle aussi advient aux bêtes qui portent cornes.
Des épaules.
Les épaules grasses et charnues sont bonnes à tous, fors à ceux qui sont aux liens ou en prison. Aux premiers cela signifie force et prospérité, aux autres, qu’il seront longtemps en captivité. Si les épaules sont malades, maigres et défaites, cela signifie le contraire des choses susdites. Et souvent cela prédit la mort ou maladie des frères.
De la poitrine et des mamelles.
Avoir la poitrine saine, est bon, l’avoir velue est bon et signe de gain aux hommes : aux femmes signifie veuvage. Les mamelles belles et sans aucun mal, sont bonnes, et si elles apparaissaient plus grosses, toutefois avec moyen et grâce, elles signifient enfants, et possession à venir. Mais si elles sont malades, comme pleines de fronces, c’est maladie à venir. Mamelles tombantes, c’est mort d’enfants à celui qui songe, et s’il n’en a, c’est pauvreté à lui. A la nourrice c’est mort de l’enfant qu’elle nourrit. Avoir plusieurs mamelles signifie comme de les voir plus grande que de coutume. A la femme, c’est qu’elle fera train de paillardise. Être navré en l’estomac par quelque familier, c’est mauvaise nouvelle aux vieillards; aux jeunes gens soit hommes ou femmes, c’est amour.
Des Mains.
Les mains belles et fortes : c’est prospérité, même aux gens de métier. A celui qui craint être lié et mis en prison, le songe n’est point sans doute. Outre ce que par ci devant nous aurons dit que la droite signifie le fils, le père, l’ami; la gauche, la femme, la mère, la soeur, la servante. La droite peut signifier les biens que l’on est âpre pour acquérir, la gauche, les biens déjà acquis. Si donc l’on songe que l’une ou l’autre est perdue, l’on perdra une des choses qui sont signifiées. En général toutes les deux mains signifient art, signer, parole. Perdre tous les doigts de la main, ou une partie, signifie dommage et perte de serviteurs. Aux écrivains, orateurs, avocats cela signifie qu’ils seront sans gain et oisifs; à ceux qui doivent qu’ils payeront plus qu’ils ne doivent; aux usuriers perte d’usures. J’ai connu homme qui songea n’avoir point de doigts, et icelui trouva créditeur qui lui prêta argent, même sans obligation. Avoir plus de doigts que le naturel, signifie le contraire que d’en avoir défaut. Certains ont pensé que c’était bon songe, toutefois c’est le contraire : car l’on se trouve mal d’avoir plus de doigts que le naturel. Et si sont oisifs les doigts abondants, ils en rendent leurs maîtres oisifs. Avoir du poil qui sort des jointures, c’est captivité; mais s’il sort de la paume de la main, c’est oisiveté, principalement aux laboureurs et gens de métier. Avoir plusieurs mains est bon à un artisan et manoeuvre. Car le songe lui dit: tu auras affaire de plusieurs mains, tant il te viendra de besogne. Et aux gens de bien aussi est bon : car il signifie acquérir enfants, serviteurs ou argent, comme j’ai connu par expérience : Mais aux méchants, c’est captivité, et qu’on jettera les mains sur eux.
Des côtes et du nombril.
Les côtes et le ventre inférieur contenant les boyaux, jusques au membre, c’est force de corps et abondance de biens et richesses. Si donc elles semblent malades, ils signifient maladie au corps, et pauvreté à la bourse. Le nombril, c’est perte de père et mère à celui qui les a, et aux autres le pays.
Des parties intérieures.
Songer être mort et voir les parties intérieures selon leur ordre naturel, est bon à celui qui n’a pas d’enfants et à celui qui est pauvre : car l’un verra de ses enfants, l’autre du bien; mais au riche et à celui qui veut être secret, c’est honte et surprise. C’est mal à tous quand les entrailles sont regardées par autrui : car ce sont affaires fâcheuses, procès et diffamations. Mais songer d’être ouvert et ne voir aucune entraille, signifie maison déserte à celui qui l’aurait songé, perte d’enfants et mort par maladie. C’est aussi soulagement à celui qui est en misère : car qui perd les parties concernant les cures et soucis, certes il sera délivré de tristesse. Outre cela il faut estimer que le coeur signifie l’homme et mari de la femme qui aurait songé; et la femme de l’homme qui l’aurait songé. Semblablement aussi le poumon. Mais le foie signifie le fils, les vivres et le foin. Le fiel, humeur colérique ou mélancolique, l’argent et les femmes. La rate, les voluptés. Le ventre et les boyaux, les enfants : car ils crient fort pour avoir à se repaître, et pareillement aussi signifient les usuriers. Les reins signifient les frères et cousins.
Du Membre.
Le Membre signifie le père et la mère, les enfants, la femme, l’amie, les frères ou cousins, la force du corps. Eloquence et science, car il est fort fertile et abondant. En outre, il signifie richesse et possessions, parce que il croît et diminue. Item conseil et secret, car il est appelé honteux. Pauvreté et servitude : car il est appelé nécessaire. Il signifie aussi dignité et accroissement d’honneur. Et pourtant quand on songe voir en son état et lieu, cela signifie permanence des choses représentées qui par lui sont signifiées, croissant, croissance, diminuant, diminution, double redoublement des choses présentes, forts de la femme et amie : car un homme ne peut user de deux membres.
Des aînes et cuisses.
Les aînes ne signifient autrement que le membre, les cuisses pareillement. Sauf lorsqu’elles semblent humides : alors, elles ne signifient pas joie aux riches, mais dépense en plusieurs et voluptés avec perte et dommage.
Des genoux.
Les genoux forts et robustes signifient voyages ou autres mouvements etet opérations et santés; mais débiles et malades, elles signifient le contraire. Un arbre ou une branche sortant du genou signifie retard et empêchement; au malade, la mort. Souvent les genoux sont les frères et familiers, aussi les enfants.
De la jambe, des pieds et du talon.
La Jambe, les pieds, et talons ont quasi même signification que les genoux. Avoir plusieurs pieds est bon aux marchands et patrons de galères, car ils commanderont à plusieurs serviteurs, et cela signifie tranquillité au patron. Ce songe aussi est bon à un homme pauvre; au riche, c’est maladie. Plusieurs par ce songe ont perdu la vue et les malfaiteurs ont été prisonniers. Voir ses pieds en feu, est mauvais à tous, et signifie perte de biens, d’enfants et de serviteurs. A ceux qui ont entrepris un prix de course, c’est bon car ils courent vite et comme ayant le feu aux pieds.
Du dos.
Le dos et tout le derrière, signifie vieillesse. Tel on le pensera avoir et tout le derrière, ainsi l’on se portera en la vieillesse.
De la transmutation de la personne.
De petit que l’on était, devenir grand, et de grand encore plus grand sans excéder raison, est bon : car c’est accroissement de besogne et de biens; mais être grand outre mesure signifie mort. Aussi, il est mauvais au vieillard d’être transmué en jeune homme et en jeune enfant, car ils changeront en pire état; mais le contraire est bon, car ils viendront en meilleur état. Songer être femme, est bon à l’homme pauvre et serf : car le premier aura qui le nourrira comme une femme, et l’autre aura moins de peine; mais au riche c’est mauvais, même s’il a le gouvernement de la chose publique : car il lui enlève son office et autorité, parce que les femmes gardent la maison. A ceux qui ont travail de corps, c’est maladie : les femmes sont plus faibles que les hommes. Si la femme songe être homme, et qu’elle ne soit mariée, elle aura mari, ou si elle n’a pas d’enfant, elle aura un fils, et ainsi elle ne sera aucunement muée en nature d’homme. Mais si elle a mari et fils, elle sera veuve. A la servante, c’est une plus grande servitude : car elle soutiendra les peines comme un homme. Il est bon à la putain, car elle cessera son méchant train. En outre si un homme ou une femme pauvre songent être d’or, ils seront riches; s’ils sont riches ils auront des embûches: car l’or et l’argent suscitent beaucoup d’embûches. Au malade, il signifie mort. Comme aussi être d’airain, fors au champion et au serf : car celui-là aura victoire et statue érigée, et celui-ci, la liberté. Songer être de fer, signifie misères infinies. Mais être tout de terre, signifie mort, fors à ceux qui vivent de terre, comme les potiers de terre. Être de pierre, signifie recevoir coups et blessures. Si l’on songe être transmué en forme de bête, faudra juger selon la nature d’icelle. Et de ce traitera le second Livre, au propos de la chasse. J’ai observé qu’il est bon à tous, de songer être beau et de bonne grâce, sans toutefois excéder le commun usage : Car être trop beau, trop brave et trop robuste, vaut autant comme d’être laid, lâche et faible, lesquelles choses signifient la mort au malade, et aux amoureux ils signifient mauvaise issue, surprise et trahison.
Artémidore
Jugements astronomiques des songes (I, a)
Grèce   125 Contexte
Artémidore est le plus grand spécialiste des rêves de l’Antiquité grecque. Il a publié Onirocriticon: un ouvrage d’interprétation des rêves très fouillé, qui a été extrêmement populaire durant tout le Moyen Age et a profondément influencé les mentalités. Freud tenait cet ouvrage en grande estime.
La traduction faite par Charles Fontaine est très imparfaite et ignore, adapte ou résume de nombreux passages du texte original. C'est cependant par elle que sera connu l'ouvrage d'Artémidore en France, jusqu'à la fin du XIXe siècle. C'est encore celle-ci que cite Hervey de Saint-Denis dans son ouvrage Les rêves et les moyens de les diriger publié en 1867.
Artémidore distingue diverses catégories de rêves, selon qu'ils sont prémonitoires (la plupart des songes) ou non, à réalisation immédiate ou différée, impliquant le rêveur, ses proches, la collectivité, les autres ou l'Univers, etc. (voir Tableau).
Notes
Afin de faciliter la lecture, nous avons transcrit le texte en graphie moderne. L’orthographe utilisée par Anthoine du Moulin est encore instable. La transcription a été faite à partir de deux exemplaires, l'un à la Médiathèque de Troyes et l'autre à la BNF. Les deux exemplaires, publiés en 1634, présentaient parfois des passages peu lisibles.
Texte témoin
LES JUGEMENS ASTRONOMIQUES des Songes, par ARTEMIDORE, Auteur ancien et renommé. Plus Auguste Niphe des Divinations, & Augures, par Anthoine du Moulin. A TROYES, Chez NICOLAS OUDOT, demeurant en la ruë Notre Dame : au Chapon d’Or Couronné, 1634.
Premier livre
I b. Des arts, ouvrages et exercices
II a. Des activités usuelles
II b. Des animaux
II c. De naviguer
II d. Des lieux de plaidoirie
III a. Du jeu
III b. Des plantes
IV a. De la variété des songes
IV b. Des choses qui adviennent
V. Exemples de songes
Bibliographie
Pour des versions modernes et intégrales de cet ouvrage, on consultera :
Artémidore :La clef des songes. Onirocritique, traduit du grec par Jean-Yves Boriaud, Paris, Arléa, 1998.
Artémidore, La clef des songes , traduit par A.J. Festugière. Paris, Vrin, 1975.

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