mercredi 22 décembre 2010

Interprétation d'un rêve de bateau

         RÊVE DE BATEAU                                    




 1- RECIT DU RÊVE

Je suis sur un bateau. Il a des cabines très luxueuses comme celles d'un paquebot de croisière, mais le mât et la proue l'apparentent à un vaisseau fantôme. Je vois une femme qui me fait penser à ma mère. Elle est sénile, famélique, éplorée et agenouillée sur le pont. Je suis très ému, comme si je ressentais un mélange d'amour et de peine. Le bateau sort peu à peu d'un brouillard très épais. Il essaie vainement, à cause d'un tangage intense, d'accoster le quai où se trouve un immense hôpital désaffecté. De cet hôpital sortent plusieurs marins qui me tendent une ancre.



2- CONTEXTUALISATION

Je suis un homme de 26 ans, célibataire, infirmier depuis quelques années. Je n'ai pas de problèmes particuliers sauf peut-être que je n'exerce pas mon métier avec une passion dévorante. Je n'ai pas de frères et soeurs et mes relations avec mes parents sont mi-figue mi-raisin.
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3- INTERPRETATION

a- "Je suis sur un bateau. Il a des cabines très luxueuses comme celles d'un paquebot de croisière
:

Le paquebot évoque pour le rêveur l'époque où, collégien encore, il souhaitait ardemment s'engager dans la marine. Il faisait montre d'une prédilection prononcée pour tous les accessoires du marin et sa chambre regorgeait de revues et livres divers sur l'histoire de la marine et celle de grands navigateurs tels Vasco de Gama, navigateur portugais qui, comme il le souligne, doubla le premier le cap de Bonne-Espérance en 1497, ou encore John Byron, le militaire et navigateur Anglais surnommé "Foul-weather Jack" à cause des tempêtes que ses navires ont si souvent essuyées. Alain (notre rêveur) avait acheté récemment une miniature de son navire, le Princess Royal (90 canons) sur lequel John Byron embarqua en 1778 afin d'intercepter une flotte française. Alain raconte que le 18 août Byron arriva seul à New York, ses navires ayant été dispersé par la tempête. Il évoque encore la bataille audacieuse que son escadre de nouveau réunie (21 navires) engagea dans les Antilles contre les 25 vaisseaux
français.



Le bateau de son rêve lui fait penser aussi aux bateaux de croisière qu'il avait vus la veille sur un magazine de voyage. Il fut fasciné en particulier par le Paul Gauguin qui navigue entre les îles de la Polynésie française, et le Carnival Freedom qui peut accueillir sur ses 18 ponts 4900 passagers et navigue à une vitesse de 20 noeuds. Il dit avoir été émerveillé par la splendeur et le luxe de ce bateau qui, avec le précédent et tous ceux sur lesquels il est intarissable lui fait penser à l'aventure, à l'évasion et aux périples.
Le bateau est un puissant symbole de sécurité. Il figure le lieu, le moyen de locomotion entre un état et un autre. Il suggère aussi l'exploration de mondes nouveaux ainsi que le salut en cas de danger.
Ce symbolisme n'est pas arbitraire puisque, aussi longtemps qu'on est sur le bateau on ne sombre pas, on est donc bien en sécurité. En tant que lien entre un état et un autre il représente le lieu que l'on quitte et celui vers lequel on se destine et que l'on attend avec impatience. C'est pourquoi probablement la tradition japonaise fait naître le bonheur sur le bateau. C'est aussi pourquoi le christianisme y voit une représentation du salut car on s'éloigne d'autant plus de son malheur que l'on se rapproche de sa destination vécue comme une promesse de félicité et de réalisation de soi.
Quels rapports tout ceci a-t-il avec l'existence d'Alain ? Il dit se souvenir de son enfance et de son adolescence comme des périodes pesantes et oppressantes. Il avait peu ou pas de loisirs. Les interdictions que lui imposaient ses parents étaient nombreuses : il n'était pas autorisé à recevoir des amis chez lui ni à sortir le soir. Il n'était nullement motivé par sa scolarité. Il avait même fugué à plusieurs reprises et avait embarqué un jour clandestinement pour la Sicile. Ce n'est que par contrainte qu'il est retourné chez ses parents qui ont alors envisagé de le confier aux services sociaux pour "se débarrasser de lui" selon ses propres mots. Ce dernier indice explique aussi pourquoi le bateau de ce rêve est une image ambivalente qui exprime à ce titre deux valeurs opposées à savoir la souffrance et le bonheur : il est à la fois rutilant mais aussi délabré telle une épave.
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En tant que vieux bateau comparable à un vaisseau fantôme, il symbolise la vie épouvantable par sa stupidité et son insipidité dans laquelle il s'était "embarqué" et qui aurait pu le mener au suicide. Il a d'ailleurs fait une tentative en ce sens. Or le bateau symbolise aussi la mort car il permettait aux défunts de passer le fleuve pour rejoindre les Enfers ou bien il emportait la dépouille d'un guerrier ou d'un noble seigneur dans son ultime voyage. De plus le mât du navire du rêve est aussi associé inconsciemment à cette idée de mort : pour les marins la vergue (longue pièce de bois placée horizontalement sur un mât et servant à soutenir la voile) à laquelle étaient pendus les criminels était associée à la mort. Quant au mât lui-même il est le point central du vaisseau, il porte la voile, il symbolise l'axis mundi, au centre du cosmos. Sa silhouette cruciforme n'est pas sans évoquer la croix chrétienne. Or le mât du rêve est vétuste et dépourvu de voile. Donc l'époque à laquelle renvoie ce rêve ne promettait au rêveur aucun avenir radieux puisque ce mât sans voile fait que le bateau vogue au gré des vagues et peut sombrer en heurtant un récif.
Mais ce même bateau est aussi fastueux. Sous cet angle il représente le bonheur auquel Alain aspirait et qu'il pensait atteindre en s'engageant dans la marine.
Signalons ici que les sept dieux japonais du bonheur ont vu le jour à bord d'un bateau. Pour les chrétiens le bateau symbolise l'Eglise et reppelle l'arche de Noé. Le bateau est donc le salut en cas de danger. Le bateau de ce rêve représente donc en même temps le navire salvateur sur lequel il s'était empressé d'embarquer pour changer radicalement de vie et condense ainsi à lui seul les deux aspects de la vie passée d'Alain.
Ce bateau du rêve n'est pas sans faire penser au mythe grec du navire Argo. Dans la mythologie grecque le navire Argo, construit par Argos sous l'inspiration d'Athéna, avait une figure de proue taillée dans un chêne de la forêt de Dodone. Le bois de ces arbres, doués du don de prophétie, possédait les mêmes propriétés. Ainsi la figure de proue du navire pouvait guider à bon escient les Argonautes dans leur périlleuse aventure. A l'origine, la figure de proue, représentant souvent une femme nue ou une sirène, était censée protéger des naufrages. Les dieux des mers, séduits ou charmés pensait-on, ne cherchaient plus à tourmenter les marins. Or la proue du navire de rêve est celle d'un vieux vaisseau fantôme. Elle aurait donc perdu ce privilège ce qui signifierait qu'à cette époque déjà Alain avait l'impression d'être livré sans protection aux griffes du destin car il était embarqué dans une vie qui ne lui apportait pas la carapace suffisamment solide pour faire face à l'adversité.Afficher l'image en taille réelleOn constate au travers de ce rêve, à ce stade du moins, la manifestation d'une compulsion de répétition qui pousse le rêveur à reproduire de façon irrépressible l'expérience douloureuse des frustrations qu'il a subies il y a quelques années afin d'expurger aujourd'hui au travers de ce rêve, par la reproduction de ces privations douloureuses passées, le mal qu'elles ont provoqué chez le rêveur. De façon générale la compulsion décrit le catactère obsessionnel de la pulsion. L'attitude compulsionnelle dépasse la volonté consciente du sujet qui agit qui agit alors sous la contrainte de forces internes qui le dominent. On voit ainsi dans ce rêve la compulsion d'Alain à répéter malgré lui une situation traumatisante afin d'essayer d'anéantir la douleur qui subsiste de ces mêmes situations
passées.


On vient de voir que cette première partie du rêve où il navigue sur un bateau à la fois magnifique et vétuste est une remémoration de l'époque où, adolescent, sa passion pour une carrière professionnelle, la marine, est restée inassouvie en raison des obstacles dressés par sa mère. Alain fut pris alors d'un profond chagrin mêlé de ressentiment alors qu'il avait assez d'enthousiasme, de motivation et d'ambition pour affronter l'avenir. On a l'impression en effet à ce sujet qu'il est le capitaine du bateau dont il rêve. Le capitaine est le personnage qui conduit son bateau et connaît le but du voyage. Le bateau, qui a le choix des directions, se dirigera dans celle que lui a commandée le capitaine, c'est-à-dire celle de sa destinée. Mais une autre destinée a été manifestement imposée au rêveur et c'est le dépit généré par cette contrainte qu'il cherche à extérioriser ici.
Il semble que la deuxième partie de ce rêve va nous éclairer davantage sur la personne qui a joué un rôle majeur dans la genèse de cette frustration.



b- Je vois une femme qui me fait penser à ma mère. Elle est sénile, famélique, éplorée et agenouillée. Je suis très ému comme si je ressentais un mélange d'amour et de peine
:

Alain soutient que sa mère fut l'instigatrice principale de tout ce qui a pu mettre un frein à ses ambitions d'adolescent. Elle est aide-soignante dans une clinique et n'a jamais vu d'un bon oeil son projet de quitter les études classiques au profit d'une carrière militaire. Elle préférait qu'il devînt médecin. Or sa mère a en réalité un aspect tout autre que celui qu'elle a dans le rêve. Elle est plutôt enjouée, d'une personnalité affirmée, elle a de l'embonpoint et on a l'impression aux dires de son fils, que sa vigueur et son dynamisme lui ont permis de conserver la fraîcheur de sa jeunesse.

Dans toutes les traditions la Mère est assimilée à la Terre. Les religions polythéistes mettent ainsi à la tête de leur panthéon un couple divin constitué du dieu père (le ciel) et de la déesse mère (la terre). Cette symbolique de la mère est assez aisée à comprendre. La mère a une fonction de génitrice et de nourricière. La mère est également présente dans le christianisme avec l'image de Marie. Il s'agit d'ailleurs d'une mère "sublimée" puisque, demeurée vierge, elle est seule génitrice de Jésus. Les nombreuses représentations de la Vierge à l'Enfant, montrant Marie allaitant Jésus ou le tenant tendrement dans ses bras, sont autant d'apologies de l'amour maternel. De même que nous sommes intimement liés à la terre qui est notre ressource majeure et vitale, ces représentations sont une expression de l'importance de la relation mère-enfant dont la nature indéfectible est inscrite en chaque individu. Elles montrent en outre le rapport charnel sur lequel s'établit l'échange entre la mère et l'enfant. La mère suprême comme la mère réelle porte l'enfant dans sa chair, d'où son identification avec la terre, et elle est chargée d'instituer le lien affectif. La communication passe par le corps. C'est pourquoi nombreuses sont les représentations sacrées qui montrent les déesses mère allaitant, berçant, veillant sur l'enfant dieu, le prophète ou l'homme.
Il existe une autre relation entre la mère et l'eau et de façon plus générale entre la femme et l'eau. Sans jouer sur l'homophonie, qui est due au hasard de la langue, la mère est aussi associée à la mer.
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L'association symbolique évoque la douceur, la fluidité et l'immensité de l'amour maternel. Symbole maternel, les profondeurs de la mer sont assimilées à l'utérus de la terre. Les eaux primordiales constituent en effet les sources de toute vie selon les mythes de création de nombreuses cultures. En des temps ancestraux la terre était vénérée en tant que grand déesse mère nourricière, source de toute vie. Selon de nombreux mythes originels, les premiers hommes seraient nés de l'argile et, à l'occasion des fêtes de la fécondité organisées au printemps, hommes et femmes s'accouplaient dans les champs. L'élément terre correspond au principe féminin et passif (le yin dans le symbolisme chinois). Dans la mythologie grecque, Gaia, la mère universelle dont le nom signifie terre, est également personnifiée par les déesses Perséphone, Déméter et Hécate.
Cette dimension positive de la symbolique maternelle est d'ailleurs à l'arrière-plan de la deuxième partie de ce rêve puisque à  la vue de sa mère Alain éprouve une tendresse et un amour filial profonds et intenses. C'est du moins ainsi qu'il qualifie lui-même l'émotion qu'il ressent. Sur le plan psychologique la mère figure en effet le personnage central avec l'enfant partage un lien indissoluble à un niveau conscient ou inconscient.
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Aujourd'hui l'attachement d'Alain à sa mère est aussi solide qu'il l'était il y a quelques années puisqu'il lui rend régulièrement visite et il ne se passe pas une semaine sans qu'il lui téléphone. Il souligne aussi le fait qu'il ne manque aucune occasion de lui offrir des cadeaux, à l'occasion de sa fête, de son anniversaire, de Noël et parfois dans le seul but de lui faire plaisir et de lui témoigner son amour. Il semble donc au premier abord surprenant qu'elle apparaisse sous les traits sous lesquels nous la voyons dans son rêve. Mais il a souligné le fait que c'est elle principalement qui a contrarié sa vocation en lui imposant à son grand dam une orientation professionnelle aux antipodes de sa passion. De ce point de vue on entrevoit mieux les raisons pour lesquelles elle revêt cet aspect singulier dans le rêve. Il la châtie, il la punit, il lui fait payer toute la contrainte et la frustration qu'il endure par sa faute. Il la dégrade en lui imposant une forme de déchéance à la fois morale (elle est agenouillée comme si elle le suppliait en se résignant à l'humiliation qu'il lui impose) et physique : elle est famélique, amaigrie, enlaidie, perdant ainsi de sa jeunesse et de sa beauté. Le fait que cette femme lui fasse penser à sa mère signifie qu'elle n'est pas à proprement parler celle-ci. Comment expliquer cette ambiguïté ? On l'explique par le fait que notre inconscient s'efforce de faire cohabiter deux représentations contradictoires d'une même personne. Cette antinomie ne peut être surmontée qu'en incarnant dans une autre personne les traits négatifs présents en fait dans la même personne. Cette autre femme qui lui fait songer à sa mère n'est en réalité que sa mère elle-même mais elle n'est pas reconnaissable car elle est la personnification des caractères exclusivement négatifs qu'il a dissociés de sa mère pour les greffer sur un personnage imaginaire.Afficher l'image en taille réelle
On retrouve ce procédé dans les mythes, les légendes et les contes de fées où sont souvent opposées "la bonne mère" et "la mauvaise mère". Celle-ci est fréquemment représentée par la marâtre, mère substitutive et non aimante. Elle apparaît dans une situation de rivalité avec l'héroïne. La thématique de Blanche-Neige, évoquant la jalousie, l'hostilité, et même la haine que la belle-mère éprouve pour sa belle fille, en constitue un fameux exemple. Le fait que ce soit, dans l'imaginaire des mythes ou des histoires, non la mère qui soit mauvaise mais la belle-mère ou toute figure maternelle substitutive n'est pas neutre. C'est l'indication du tabou de la mauvaise mère. Dans l'inconscient collectif la mère génitrice a le devoir d'être bonne et l'attitude contraire n'est pas admise. Alors que le père peut être lâche ou méchant, la mère n'est jamais placée dans ce rôle. Si elle ne remplit pas son rôle c'est qu'elle est morte. L'amour démesuré que tout enfant éprouve pour sa mère le pousse instinctivement à séparer dans l'image de sa mère les traits positifs et négatifs. Ceci contribue aussi à instaurer un équilibre intérieur en évitant des tensions et conflits psychiques douloureux entre deux pôles opposés. On comprend alors pourquoi les Grandes Déesses Mères ont toutes été des déesses de la fertilité, des incarnations de la seule dimension positive de la mère : Gaïa, Rhéa, Héra, Déméter chez les Grecs, Isis chez les Egyptiens et dans les religions hellénistiques Ishtar chez les Assyro-Babyloniens, Astarté chez les Phéniciens, Kâli chez les Hindous, même si au fond on retrouve dans ce symbole de la mère la même ambivalence que dans les symboles de la mer et de la terre : la vie et la mort sont en effet corrélatives et en tant que telles indissociables. C'est pour cela que cette inconnue du rêve évoque fatalement sa mère. Naître c'est sortir du ventre de la mère; mourir c'est retourner à la terre. La mère c'est la sécurité de l'abri, de la chaleur, de la tendresse et de la nourriture. C'est aussi en revanche le risque d'oppression par l'étroitesse du milieu et d'étouffement par une prolongation excessive de la fonction de nourrice et de guide. Suivant la transposition mystique du christianisme, la Mère c'est l'Eglise perçue comme la communauté où les fidèles chrétiens puisent la vie de la grâce mais où ils peuvent aussi subir une tyrannie et un despotisme spirituels. Dans l'art indien Kâli est une femme d'aspect hideux, langue pendante, ensanglantée, qui danse sur un cadavre. Comment peut-elle symboliser la Mère divine ? Il s'agit pour la religion ici de aisir dans une vision synoptique d'une modalité unique les trois mouvements projetés ensemble formant la création, le maintien et la destruction. Ce sont les différents aspects de l'expérience unique de la vie. La Mère divine est ainsi la force vitale universelle qui se manifeste et cette force c'est le principe spirituel exprimé sous une forme féminine. C'est là certainement un autre exemple de la façon dont l'esprit humain réussit à concilier deux contraires.Puisque la femme du rêve que nous analysons évoque pour le rêveur sa mère on comprend pourquoi il est sujet à deux catégories d'émotions si différentes, à savoir l'amour et la peine. Dans la mesure où il l'aime il éprouve du rermords à la faire souffrir. Le remords est le sentiment douloureux accompagné de honte lié à la conscience d'avoir mal agi. On le ressent quand on sait que l'on a enfreint une loi morale essentielle qui fait partie intégrante de notre conscience morale. La douleur accompagnant le remords est en fait la conséquence du châtiment que l'on s'inflige intérieurement à soi-même pour se punir de l'infraction que l'on a commise et expier sa faute par cette auto-flagellation psychique. Ainsi,  Alain n'est pas seulement triste dans son rêve, il est aussi sujet au remords car il inflige des souffrance terribles à l'être auquel il doit son bien le plus précieux, la vie. Il est durement sanctionné par sa conscience morale et la peine qu'il éprouve n'est que l'une des nombreuses formes sous lesquelles apparaît le sentiment de culpabilité qui s'empare de nous quand on se surprend à transgresser des interdits fondamentaux, en l'occurrence celui qui nous enjoint de ne pas bafouerni avilir la Sainte image de la Mère.
La première partie du rêve est une évocation de ses frustrations infantiles. La deuxième partie nous a montré qu'il souffre d'avoir châtié la personne qu'il juge responsable de cette frustration. La question que l'on est en droit de se poser à ce stade est de savoir s'il pense avoir surmonté aujourd'hui ce conflit qui l'oppose à sa mère et si sa profession actuelle compense de quelque façon que ce soit le fait de n'avoir pu embrasser celle qu'il désirait.

c- Le bateau sort peu à peu d'un brouilard très épais :

Cette scène de son rêve lui fait penser à un événement qui s'est déroulé quelques jours auparavant : il roulait en voiture dans un brouillard très dense qui l'obligeait à faire preuve d'une vigilance extrême. Ce brouillard s'est progressivement dissipé et à mis fin à son angoisse d'avoir un accident. Il s'est alors abandonné à une sorte rêverie diurne basée sur une analogie entre la situation qu'il venait de vivre et sa situation passée et se dit qu'il aimerait tant sortir du brouillard psychologique comme il est sorti de ce brouillard naturel.
Le rêveur reprend ici à son propre compte la symbolique du brouillard. Dans les différentes cosmogonies, à l'aube des temps, le monde est souvent noyé dans un brouillard tenace qui l'assombrit au point de faire régner les ténèbres. La lumière, première création dans le récit de la Genèse, extirpe l'univers du chaos et apporte la distinction accompagnant tout processus de développement.
On comprend pourquoi en psychologie le brouillard revêt fréquemment un caractère inquiétant, évoquant la perte de repères, le manque de clarté intérieure et l'obscurantisme. C'est en effet exactement ce qui se prodit quand un brouillard épais apparaît réellement. On a donc une transposition
sur le plan psychique de ce qui se passe sur le plan physique.
Chez notre rêveur également le brouillard de son rêve est la représentation symbolique de sa destabilisation psychologique consécutive à la perte de ses repères fondamentaux quand il s'est vu interdire de suivre la voie professionnelle qu'il s'était fixée. En plus du repère professionnel anéanti, c'est le repère maternel qui s'est trouvé bouleversé et avec lui toute la motivation qui prend sa source dans la relation tendre de l'enfant pour sa mère, une motivation essentielle dans la mesure où sans elle la combattivité dans la vie est gravement entamée.Cette valeur négative du brouillard est attestée par le dieu amérindien Huaillepenyi. Cete divinité était représentée sous les traits d'un ête hybride, monstrueux et effrayant. Les nouveaux-nés, souffrant de malformations, étaient nés, croyait-on, de sa mauvaise influence.
On peut dire que, en ce qui concerne Alain, le brouillard psychologique dans lequel il fut plongé à son corps défendant avait frappé de malformations les structures psychologiques et sociales qui étaient encore chez lui à l'état naissant : sa situation scolaire, puis sociale furent déformées dans la mesure où, suite à la décision de sa mère, elles ne correspondaient plus à ses aspirations. Probablement aussi ses liens normaux à sa mère et à autrui en général furent altérés et dénaturés par le dépit qu'il a vécu.
On peut sans risque d'exagération, compte tenu de l'état actuel du rêveur, parle d'introversion à son sujet. L'introversion se traduit par une attitude de repli sur soi, de retrait de tout autre centre d'intérêt, aussi bien des relations familiales que de l'environnement social. Cette réaction est étrangère à l'égoïsme puisqu'elle trahit un certain degré de souffrance de la personnalité. Cette diminution de l'intérêt pour le monde extérieur aboutit à l'investissement de formations intrapsychiques imaginaires. Et c'est bien là ce que l'on observe chez Alain au travers de sa propension à s'abandonner à des rêveries diurnes dans lesquelles il compense par des formations fantasmatiques les privations que lui impose le monde extérieur.
Tout porterait à croire à ce stade qu'il ne peut encore se satisfaire des dédommagements qu'il trouve dans sa situation professionnelle actuelle. C'est, comme on va le voir, ce que semble confirmer la suite du rêve.

 
d- Il essaie vainement, à cause d'un tangage intense, d'accoster le quai où se trouve un immense hôpital désaffecté :
L^hôpital du rêve lui fait penser à celui dans lequel il travaille en raison de quelques détails architecturaux communs. Cet hôpital, implanté dans un cadre privilégié, est de construction récente et est équipé des technologies les plus performantes notamment dans le domaine de la cardiologie. On ne peut donc manquer d'être frappé par le contraste entre ct hôpital flambant neuf et l'hôpital désaffecté du rêve. Ce dernier aspect fait dire à Alain qu'il nese sent pas dans son élément dans l'enceinte de cet hôpital, que c'est à contrecoeur qu'il exerce son métier, qu'il a l'impression d'être abandonné et d'avoir échoué dans cet hôpital comme un naufragé après une longue période de dérive.On est donc en droit de supposer que l'hôpital réel est intentionnellement dévalorisé par le rêveur qui en fait un édifice délabré semblable à une ruine pour signifier que, en dépit de ses hautes qualités technologiques et architecturales cet hôpital ne contrebalance pas par ses atoutstoutes les frustrations qu'il endure du fait de n'avoir pas embrassé la profession qu'il souhaitait. C'est d'aileurs bien cette signification que véhicule la symbolique de l'hôpital dans ce contexte précis. Voir un hôpital en rêve signifie entre autre qu'il faudra s'adapter à court terme à une nouvelle situation, peut-être au moyen d'une intervention douloureuse. En effet si l'on se rend dans une hôpital pour se faire opérer cela implique qu'il faudra s'accommoder de notre situation post-opératoire non sans avoir enduré au préalable  d'éventuelles douleurs liées à l'intervention.Afficher l'image en taille réelleEn ce qui concerne Alain il admet souffrir à la fois sur les plans psychologique et professionnel. Mais, contraint par le principe de réalité d'assurer son insertion sociale, il s'est résigné douloureusement à une carrière qui ne répond pas à ses ambitions. C'est certainement en rapport avec cette déception qu'il faut interpréter le tangage intense du bateau et sa difficulté à accoster le quai. Le tangage exprime ici l'hésitation et la réticence d'Alain à "accoster" cette profession. D'ailleurs sa répugnance est telle que le bateau ne parvient pas à accoster le quai. Ici apparaît nettement la réalisation d'un désir : il se produit en rêve (l'impossibilité d'accoster) l'inverse de ce qui s'est produit dans la réalité (l'accostage effectif). Cette partie du rêve laisse entrevoir aisément le sens de la dernière.

e- De cet hôpital sortent plusieurs marins qui me tendent une ancre :

Il y a quelques jours Alain a assisté à un défilé militaire qu'il  trouvé somptueux. Après le défilé le public avait l'occasion de discuter avec des responsables de l'armée afin de s'informer sur les carrières militaires, ce qu'il n'hésita pas à faire, mais conscient au fond que c'était davantage pour entretenir un rêve que pour construire un projet réel. Puis il visita un navire de guerre avant d'acheter divers articles dont deux écussons et un porte-clés ayant chacun une ancre. Il a d'aileurs coucu chacun de ces écussons sur les manches de son sweat-shirt. Il songea à l'occasion de cette manifestation qu'il avait malheureusement manqué sa vocation et qu'en fait il nese rendait à ce genre d'événement que pour y trouver de bien maigres contreparties. Il s'était dit qu'il aurait préféré jeter l'ancre dans la marine que dans la médecine qui n'était pas son port d'attache de prédilection.Encore une fois on peut observer que le rêveur fait de l'ancre un usage symbolique tout à fait approprié à sa situation : en tant que lourde masse dont le poids retient le navire l'ancre est considérée comme un symbole de fermeté, de solidité, de tranquillité et de fidélité. Au milieu de la mobilité de la mer et des éléments elle est ce qui fixe, attache, immobilise. Elle symbolise aussi la partie stable de notre être, celle qui nous permet de garder une calme lucidité devant le flot des sensations et des sentiments. Mais elle peut aussi, en vertu de ces mêmes propriétés (retenir le navire fermement, immobiliser...) représenter une barrière, un retard et c'est probablement le sens qu'elle revêt quand, associée au dauphin qui est la vélocité, elle apparaît comme la devise d'Auguste : Festina lente (hâte-toi lentement).
Dans le cas de notre rêveur on peut sans risque la prendre dans ces deux acceptions. Dans la mesure où son projet de devenir marin fut contrecarré et qu'il s'est vu contraint d'exercer un profession pour laquelle il n'avait pas d'inclination particulière, il s'est senti ralenti, freiné et immobilisé dans son parcours. A ce titre l'ancre symbolise dans son rêve à la fois l'instabilité professionnelle, psychologique et relationnelle à laqelle il est sujet. Ne se sentant pas en phase avec sa situation il ne peut y trouver l'équilibre, la stabilité, l'épanouissement et l'accomplissement qu'apport une profession qui nous permet d'exercer nore passion. Sous cet angle l'ancre du rêve est manifestement la symbolisation de tout ce qui a et fait encore barrage à son désir initial qui est resté aussi vivace que jadis.

Afficher l'image en taille réelle  Mais dans la mesure où ce sont des militaires qui dans son rêve lui tendent une ancre celle-ci doit également être interprétée dans son sens positf. Elle ne représente plus alors sa situation matérielle actuelle mais celle qui aurait été la sienne s'il avait pu assouvir sa passion. On a dnc ici l'expression d'un désir au conditionnel : "Si j'avais pu devenir marin j'aurais trouvé dans cette carrière un tel accomplissement personnel que j'aurais pu faire preuve de fermeté et de tranquillité dans ma vie. Mon malaise profond actuel, mon dépit, mon instabilité, mon irascibilité chronique ne peuvent être mis que sur le compte de cette inadéquation entre ce que je suis et ce que je fais."
On peut à ce stade aller jusqu'à parler d'ancrage défectueux chez notre rêveur. La psychologie avec le concept d'ancrage met aussi en lumière la fonction d'attachement de l'ancre. Elément clé de la programmation neurolinguistique (PNL) la méthode consiste à créer des programmations réflexes qui, à travers des paroles, des gestes ou des pensées induisent un comportement spécifique. L'ancrage n'est pas un procédé propre à la PNL bien que le nom de cette technique le soit. Dérivé en partie du réflexe conditionné de Pavlov et du signe-signal d'Erickson, l'ancrage consiste à utilisr de stimuli positifs pour placer le sujet dans une disposition psychologique, physique, émotionnelle et affective spécifique. L'ancrage peut utiliser des stimuli de nature variée, en passant par les sens les plus couramment sollicités dans une situation générale : stimuli visuels, auditifs, kinesthésiques, voire gustatifs.
Si l'ancrage peut être provoqué expérimentalement, il peut l'être aussi naturellement et avoir des incidences tant négatives que bénéfiques. Notre rêveur cherche donc à créer artificiellement dans son rêve l'ancrage qu'il juge le plus à même d'induire un état émotionnel positif afin de contrebalancer sur ce mode onirique les effets pathogènes des ancrages crées par la réalité.

                                                                                                 
  Chéguenni Mohamed
                                                  

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