mercredi 22 décembre 2010

Interprétation d'un rêve de forteresse

 RÊVE DE FORTERESSE

1-CONTEXTUALISATION

François est veuf depuis deux ans. Son veuvage le fait d'autant plus souffrir qu'il le vit dans une solitude presque totale. Il a de temps à autre des rencontres avec quelques membres de sa famille mais dans l'ensemble il est un être distant dont le comportement frise l'introversion. Depuis le décés de son épouse il consulte régulièrement un psychiatre qui a diagnostiqué une dépression chronique mais bénigne et lui préconise de renouer le contact avec son entourage. C'est pourquoi il y a quelques jours il a invité sa soeur et son beau-frère à dîner chez lui. La nuit qui suivit immédiatement ce repas il fit le rêve suivant.

2-RECIT DU RÊVE
Mon épouse et moi sommes à la campagne devant un immense château semblable à une forteresse. Autour de nous des vaches paissent une herbe abondante. Ma femme vêtue de blanc porte un chaudron et veut rentrer dans la forteresse. Puis la forteresse se transforme en Eglise d'où sort ma soeur portant une robe de mariée. Elle me tend une urne funéraire.

3- INTERPRETATION
a - Mon épouse et moi sommes à la campagne devant un immense château ou une forteresse

Cette première scène lui rappelle les randonnées pédestres que lui et son épouse faisaient dans leur région. Il en évoque particulièrement une au cours de laquelle ils s'étaient effectivement retrouvés face à un immense corps de ferme qu'ils s'étaient efforcés en vain d'identifier non sans quelques traits d'esprit. Lui-même avait fait remarquer que cette immense bâtisse de bois et de pierres ressemblait singulièrement aux constructions lugubres des films d'horreur dont on ne ressort jamais vivant.
Il avait encore dit à son épouse que si elle quittait la campagne pour gagner ce lieu sinistre elle risquait de passer du paradis à l' enfer. Il continue en disant que ce château lui fait ressentir des émotions très contradictoires : il ressent simultanément de l'angoisse et du soulagement, de la terreur et de l'effroi, de l'appréhension et de l'apaisement sans être capable de s'expliquer ce mélange de sentiments aussi disparates.
Mais sa réaction émotionnelle va s'éclaircir pour nous grâce à l'étude de la symbolique du château. D'une façon générale celui-ci est l'élément structurel des contes et récits légendaires. Il manifeste le pouvoir autant que la construction renfermant le secret, la connaissance, la vérité et l'amour. Le héros placé dans une situation précaire au commencement de l'histoire atteint la sécurité physique, affective et spirituelle en concluant sa série d'épreuves par l'accès au château.
Cet aspect positif de la symbolique du château éveille chez François des idées qu'il ne tarde pas à communiquer. Il reconnaît par exemple être une personne très ambitieuse, à la recherche du pouvoir dans sa sphère d'activité professionnelle mais qu'il s'est toujours évertué à ne pas dévoiler ce trait de caractère de peur d'être considéré par son entourage comme un arriviste ou un carriériste mesquin.
Il continue en essayant de se justifier et soutient que son ambition avait pour seul but d'offrir à son épouse un cadre de vie idéal à la hauteur de l'amour qu'il lui vouait. Il poursuit en disant que le chemin qui menait à la réalisation de cet idéal était parsemé d'obstacles souvent infranchissables et qu'aujourdhui encore il ressent une sorte de frustration à l'idée d'avoir relativement échoué dans cette entreprise.
On voit donc que notre rêveur a exprimé au moyen du château un aspect de son existence récente. Le pouvoir symvolisé par le château correspond à son désir d'accéder lui-même d'accéder à un pouvoir professionnnel et social. Le secret évoqué par le château correspond à ses efforts pour dissimuler aux autres ses ambitions. La situation précaire du héros qu'évoque encore le château a pour pendant la situation économiquement critique de notre rêveur qui met tout en oeuvre pour construire un avenir reluisant et accéder ainsi à la sécurité physique, affective et spirituelle signifiée encore par le château. A ce stade de notre analyse on a malgré tout l'impression d'une interprétation inachevée. François lui-même exprime de l'insatisfaction comme si l'essentiel était éludé et que seul l'accessoire était expliqué. Dans le rêve en effet le château a davantage un sens négatif que positif, même si cet aspect positif correspond bien à une période précise de la vie du rêveur.
Il nous faut donc maintenant parachever notre interprétation du château en nous intéressant à sa signification négative. Le château évoque l'isolement ou l'enfermement. Or François insiste vivement sur la solitude intenable qu'il a connue quand sa femme était malade. Il se sentait totalement livré à lui-même, abandonné à son sort, victime de l'incompétence et de la lassitude d'un corps médical qui semblait exaspéré car dépassé par la pathologie incurable de son épouse. Son entourage lui-même s'est progressivement éloigné de lui ou faisait preuve d'une compassion d'autant plus insupportable qu'elle était forcée et simulée. Ce contexte relationnel négatif l'avait conduit à l'enfermement sur soi. Les arrêts de travail s'enchaînaient et les relations avec son épouse se dégradaient. Il dit avoir crée psychologiquement une sorte de lieu clos dans lequel il se barricadait pour se prémunir des douleurs incessantes que sa situation lui faisait connaître.
Or dans son aspect négatif le château évoque aussi le lieu clos, protégé par des fortifications et des remparts. Il s'agit non pas de la sécurité qui est le résultat des efforts du combattant courageux mais de la sécurité instaurée par une personne faible qui se retranche dans sa forteresse défensive face à un adversaire jugé peut-être trop rapidement invincible. Ici le château personnifie, à l'instar de le tour, l'attitude défensive, la rupture d'avec le monde, le repli sur soi tel que notre rêveur d'ailleurs l'a connu et le connaît encore à ce jour.
D'ailleurs la princesse emprisonnée dans la tour et qui attend son sauveur est une illustration de l'âme, assujettie au corps, qui attend sa libération. On peut supposer que François se perçoit comme un être prisonnier du corps, de la corporeité au sens le plus large, de la matérialité, en raison de sa souffrance. Il adopte ainsi une attitude peut-être autiste, telle la princesse emprisonnée dans sa tour, car il a l'impression que le malheur qui l'accable est insurmontable et ne peut être vaincu que par une force étrangère qu'il doit pour l'instant attendre. Il semble donc avoir un comportement fataliste. Cette dernière interprétation peut d'ailleurs être étayée par l'autre symbolique du château, très voisine des précédentes.
Le château symbolise aussi dans certaines applications, l'illusion, le désir insatisfait, l'utopie. Or c'est bien la déception, l'insatisfaction, voire la frustration que notre rêveur a ressenties du fait, d'une part, de son incapacité à améliorer sensiblement sa situation matérielle, d'autrepart du fait de devoir assumer seul les contraintes très lourdes liées à la dégradation de la santé de sa femme qui a elle-même engendré la délitescence progressive de ses relations aux autres. On peut donc en déduire que François ne voyait plus dans les idéaux qu'il s'était proposé de réaliser que de simples chimères, des illusions, tant il était en proie au désenchantement. On comprend pourquoi dans un tel contexte le château prend sens aussi comme une évocation de l'éphémère, dans une prise de conscience positive ou dans une fixation vers des buts inaccessibles.
Il en est ainsi des châteaux de cartes ou de sable, fragiles constructions destinées à la destruction, ou des châteaux en Espagne, ayant valeur de mirages, d'espoirs vains et de rêves stériles.
François se dit effectivement profondément dépité de voir ses espérances battues en brèches par les mauvais coups du sort. Il dit avoir l'impression d'avoir pendant des années construit avec un déploiement d'énergie considérable quelque chose dont il avait surestimé la fiabilité et la solidité puisque sa construction (le bonheur professionnel et conjugal) fut pour ainsi dire anéantie par le destin.
Le château a donc dans cette première partie du rêve une double signification que l'on va retrouver dans la deuxième scène du rêve mais accompagné d'un élément nouveau important : le regret d'avoir échoué sur le plan professionnel et conjugal va en effet se traduire par une conséquence psychologique notable exprimée dans la suite du rêve.

b - Autour de nous des vaches paissent une herbe abondante
Cette scène lui rappelle que quand il était enfant ses parents l'emmenaient parfois à la campagne visiter des fermes. Un jour sa mère le prit par la main et l'approcha doucement d'une vache qui était en train de paître paisiblement. La confiance qu'il avait en sa mère l'aida à surmonter sa peur et il éprouva un immense plaisir à caresser la vache qui semblait faire preuve d'une docilité particulière à son égard. Il eut beaucoup de plaisir à se sentir accepté par l'animal qui continuait de brouter dans une relative indifférence tout en inspirant à l'enfant un profond réconfort. Il dit que depuis cette scène il a un très fort attachement pour cet animal et il peut comprendre que dans certains pays il soit sacralisé.
On aura entrevu ici le passage progressif chez l'enfant de l'effroi et de la crainte suscités par l'animal à l'affection, la confiance et l'amour. Or il n'aura échappé à personne que le facteur qui a favorisé cette transmutation des sentiments est l'action décisive de la mère qui a aux yeux de l'enfant transformé ce qui lui apparaissait comme un danger imminent en un moment privilégié de tendresse.
Quand on aura ajouté à ces observations le fait que notre rêveur caressait la tête de la vache comme il caressait le visage de sa mère, on verra difficilement comme une extrapolation le fait de conclure qu'il a transféré dans l'animal les émotions positives qu'il éprouve pour sa mère.
Mais en cela il ne s'est nullement montré inconséquent puisque cette réaction est non seulement justifiée par un facteur psychologique ordinaire qui s'observe dans d'innombrables circonstances similaires (les enfants finissent généralement par aimer ce que leurs parents les conduisent à aimer) mais encore par une tendance séculaire, voire millénaire de l'être humain à identifier la vache à la mère et non de façon arbitraire mais en vertu de liens associatifs parfaitement légitimes qui ont très bien pu constituer des facteurs favorisant cette identification chez notre rêveur.
En effet, d'une façon générale, la vache, productrice de lait, est le symbole de la Terre nourricière. La Terre elle-même étant le symbole de la mère on comprend que la vache symbolise aussi la mère. Le point commun aux trois est de nourrir l'homme. C'est pourquoi dans l'Egypte ancienne la vache Ahet est l'origine de la manifestation, la mère du Soleil. Le corps du dieu, dans les mystères d'Osiris, était enfermé dans une vache de bois et il renaissait par la gestation de celle-ci. On ne manquera pas de reconnaître ici le symbole de l'enfantement.
L'amulette Ahat, représentant la tête de la vache sacrée, portait du reste le disque solaire entre ses cornes et était untilisée pour émettre de la chaleur dans les corps momifiés. Cette coutume venait de la croyance selon laquelle, lorsque le soleil Rê s'était couché pour la première fois à l'horizon, la déesse vache avait envoyé des êtres de feu le secourir jusqu'au matin afin qu'il ne perde pas sa chaleur. Ce mythe plonge certainement ses racines dans une sensation humaine essentielle qui n'a pas manqué de contribuer dans la production du symbole de la vache de notre rêve : c'est au fond la mère seule qui par sa chaleur est en mesure d'assurer la survie de l'enfant qu'elle porte et qu'elle élève.
On pensera aussi à la coutume des femmes des tribus les plus primitives de la vallée du Nil qui portaient une amulette représentant la déesse Hatho, sous forme d'une tête de vache ou de femme aux oreilles longues et plates, tombant comme celles d'une vache, pour s'assurer une longue progéniture.
La figure d'Athor, dans le Panthéon égyptien, résume ces différents aspects du symbole de la vache. Elle est la fertilité, la richesse, le renouveau, la Mère, la mère céleste du soleil, jeune veau à la bouche pure. Elle est nourrice du souverain d'Egypte. Elle est l'essence même du renouveau et de l'espoir en une survie. Dans cette deuxième partie du rêve on a l'impression que François s'efforce de retrouver toute sa combativité en réactivant l'image de la mère qu'il a connue et aimée et qui fut pour lui le moteur principal de son optimisme et de son ambition. Il tente probablement aussi, par régression, de retrouver des compensations aux frustrations et déceptions qu'il connaît depuis quelques temps. Les vaches de son rêve, multiplication volontaire de l'image de la mère, expriment à la fois la nostalgie d'un bonheur maternel désormais lointain, mais aussi le désir de puiser de nouveau dans cette image l'énergie sans laquelle il est impossible de survivre.
Le fait que la vache, symbole de la mère, soit l'expression de l'optimisme, du renouveau, de la fécondité, se retrouve chez les Grecs. La vache est en effet dans tous les lieux où les Grecs virent les cités d'Aphrodite. Elle est une jeune femme, aimable et souriante, déesse de la joie, de la danse et de la musique, et l'on comprend que, projetant dans l'au-delà les espérances réalisées à chaque printemps sur terre, elle soit devenue, sur la rive gauche du Nil, à Memphis comme à Thèbes, la patronne de la montagne des morts.
La Grande Mère ou Grande Vache des Mésopotamiens était aussi, de toute évidence, une déesse de la fécondité. Cet usage que François fait de la vache dans son rêve por exprimer son désir de renaouveau, de tourner définitivement la page sur sa vie actuelle parsemée de déception et de désarroi, s'observe chez les Sumériens, ce qui nous conforte dans l'idée qu'il a puisé dans l'inconscient collectif ou qu'il a recouru à un procédé psychique motivé par des facteurs humains fondamentaux.
La représentation du symbole, associant la vache à la lune, à la corne, à l'abondance s'observe en effet à Sumer où l'on orne la lune de deux cornes de vache, tandis que la vache est représentée comme un croissant de lune. La nuit étoilée est dominée par le taureau prestigieux dont la vache féconde est la pleine lune et dont le troupeau est la voie lactée. A certains endroits, il semblerait que les Sumériens aient conçu l'image curieuse d'un reflet de lune assimilé à un jet de lait de la vache lunaire.
Chez les Germains la vache nourricière Audumla est la première compagne d'Ymir, premier géant, née comme lui de la glace fondue : elle est l'ancêtre de la vie, le symbole de la fécondité. On notera que Audumla comme Ymir sont antérieurs aux dieux, ce qui peut nous faire croire que pour François sa mère est dans la réalité, comme dans son rêve, l'expression de la divinité par excellence et personnage central du paradis originel perdu. Il en veut pour preuve que le nouveau paradis qu'il a essayé de créer n'a jamais été achevé et que la femme qu'il a aimée n'a jamais été à la hauteur de la première femme qu'il a aimée et qu'il aime toujours : sa mère.
Ce symbolisme s'étend sur l'ensemble des peuples indo-européens. Il a gardé toute sa puissance en Inde, d'où la vénération qu'on y porte à la vache, qui n'a nulle part été célébré si éloquemment que dans les Veda, où, archétype de la mère fertile, elle joue un rôle cosmique divin.
Le passage du rêve de François où des vaches paissent de l'herbe abondante se retrouve de façon surprenante dans les mythes et cela est d'autant plus étonnant qu'il dit n'avoir jamais entendu parler de ce mythe : symbole du nuage des eaux célestes, la vache qui se défait au ciel se reforme sur la terre grâce à la nourriture que la pluie rend abondante. On ne peut manquer de voir dans ce mythe le symbole de la régénération éternelle, de l'immortalité.
Il est probable donc que François cherche à retrouver dans l'image de la mère bienfaitrice qu'il a connue cette sensation de plénitude et d'éternité liée au fait d'être comblée par la présence maternelle. Dans son enfance il a connu l'abondance affective, ce qui lui a certainement donné la vigueur et le courage avec lesquels il s'est jusque-là débattu. Mais sa vie actuelle l'a malheureusement privé d'une bonne partie de cette réserve d'énergie par les nombreuses déceptions que lui ont infligées sa vie professionnelle et sa vie conjugale. C'est pourquoi encore une fois cette première scène de son rêve est l'expression incontestable d'une recherche de compensation affective par voie de régression consécutive à une frustration actuelle insurmontable autrement. Sa frustration présente a donc engendré sa nostalgie puis sa régression vers un stade lointain de son développement où prédominaient l'abondance et l'insouciance.
La frustration est la condition du sujet qui se voit refuser ou se refuse la satisfaction d'une demande pulsionnelle. Mais elle est beaucoup plus qu'un simple manque. Tandis que celui-ci n'a pas d'incidences graves sur la santé du sujet (on peut en effet manquer d'une chose sans en tomber forcément malade), la frustration est au contraire le manque d'un plaisir essentiel. L'impossibilité de se le procurer à plus ou moins long terme a des effets pathologiques. Une névrose peut ainsi se déclencher à la suite d'une frustration. Freud souligne qu'une privation externe n'est pas en soi pathogène et ne le devient qu'en tant qu'elle porte sur la seule satisfaction que le sujet exige. Le manque n'est donc pas nécessairement une frustration et une frustration pour un sujet peut n'être qu'un manque pour un autre. Tout dépend de l'équilibre singulier qui est fonction à la fois des circonstances extérieures et des particularités propres à la personne.
Dans le cas de François il est manifeste que l'impossibilité de réaliser ses ambitions sur le plan professionnel et conjugal a constitué une source de frustration qui a entamé considérablement sa foi en lui-même et donc sa combativité. Et c'est faute de pouvoir attendre du présent et du futur les circonstances propices à la réalisation de ses désirs fondamentaux que notre rêveur a recouru à la régression sous l'effet de la frustration.
La régression désigne un retour à des formes antérieures du développement de la pensée, des relations d'objet et de la structuration du comportement. Elle désigne le retour de la libido à des voies latérales de satisfaction et à des objets antérieurs (rappelons que la libido est l'expression psychique de l'instinct sexuel, le désir sexuel, tout comme la faim est l'expression dpsychique de l'instinct de nutrition). La régression suppose donc l'existence de stades du développement psychosexuel infantile se succédant dans un ordre déterminé.
Selon Freud : "Nous distinguons trois sortes de régression : a/ Topique, au sens du schéma de l'appareil psychique; b/ Temporelle, où sont reprises des formations psychiques plus anciennes; c/ Formelle, lorsque les modes d'expression et de figuration habituels sont remplacés par des modes primitifs. Ces trois formes de régression, à leur fondement, n'en font qu'une et, dans la plupart des cas, elles se rejoignent car ce qui est plus ancien dans le temps est également primitif dans sa forme et, dans la topique psychique, se situe plus près de l'extrémité perception."
Dans le cas de notre rêveur il y a effectivement régression à un stade antérieur où la relation à la mère était la source d'un bien-être immense. Cette idée de bien-être absolu suppose une existence purifiée, exempte de toute impureté. La pureté est effectivement associée à la vache. Par exemple le rituel de la vache rousse, expliqué en détail dans les Nombres (19, 1-22) indique que tout individu ayant été en contact avec un cadavre était considéré comme impur. Il devait donc se purifier avec l'eau lustrale qui contenait les cendres de la bête consumée (9, 13-14) : "Si la cendre d'une vache répandue sur ceux qui sont souillés sanctifie et procure la pureté de la chair, combien plus le sang du Christ."
On peut supposer que cette association de la vache et de la pureté a été reprise par François pour signifier dans son rêve qu'après son contact avec la mort réelle de son épouse et après son contact avec la mort symbolique, celle de son ambition professionnelle, qui sont toutes deux des sources d'impureté, il a cherché la purification auprès de celle qui fut pour lui la source de pureté. Probablement que par cette forme de régression il exprime aussi son désir de tourner la page sur un pan de sa vie devenu inacceptable.
Cette dernière préoccupation va d'ailleurs se révéler nettement dans la troisième partie du rêve.

c - Ma femme vêtue de blanc porte un chaudron et veut rentrer dans la forteresse
Les vêtements blancs de son épouse lui rappellent d'abord les nombreuses visites qu'il lui rendait à l'hôpital. Il se souvient que la couleur blanche était dominante et presque omniprésente dans la literie, la chambre et sur le personnel hospitalier. Il dit que souvent, au sortir de l'hôpital, il avait plusieurs idées étranges. Il associait les draps du lit de sa femme au linceul. Puis il éprouvait une sorte de soulagement dont il avait une honte inexpliquée.
On a vu dans l'analyse de l'étape précédente du rêve que François trouvait dans sa mère, par voie de régression, la sérénité et la félicité qu'il avait vainement recherchées dans sa vie. On a l'impression qu'il signifie dans cette troisième partie du rêve, à travers l'image de sa femme vêtue de blanc, qu'elle n'a été pour lui que de façon éphémère une mère de substitution à laquelle on xpouvait aussi associer le blanc. Couleur des origines, le blanc est associé au lait, nourriture primordiale et universelle. Pour François comme pour tout enfant sa mère est sa nourriture spirituelle première, essentielle et irremplaçable. Elle est une source d'amour telle qu'elle apporte à l'enfant qui en bénéficie une force etr un courage considérables, une foi grâce à laquelle il est capable de déplacer des montagnes. Son avenir n'est pas une fatalité mais le fruit de sa motivation et de sa liberté d'initiative.
C'est aussi pourquoi la principale propriété du blanc est la neutralité, l'état de tous les possibles, le devenir. Le lait maternel est source d'amour et de ce fait source de confiance en soi. Celui qui le boit juge que rien ne lui est impossible. Considéré positivement, le blanc suggère la paix, la pureté originelle, la virginité et la sagesse. Or c'est précisément ce que François dit avoir non pas trouvé mais espéré trouver auprès de sa compagne et dans le cadre de son activité professionnelle. Mais ce fut en vain. Et c'est aussi pourquoi le blanc peut être considéré négativement. Il exprime alors la fragilité et la vulnérabilité, celles dont notre rêveur a été victime à la suite de sa déception. Cette troisième scène du rêve dans sa première partie signifie donc : " C'est en vain que j'ai espéré trouver dans ma vie conjugale et professionnelle l'accomplissement qui aurait été pour moi le couronnement de toutes mes initiatives."
De même que le noir, le blanc n'est pas véritablement une couleur. Si le noir équivaut à l'absence de lumière, le blanc correspond à la totalité des couleurs. Il possède une valeur synthétique comme s'il réunissait en lui toutes les propriétés des autres variations de la gamme chromatique. Cependant il conserve sa neutralité, souvent évoquée dans la notion de virginité. Il situe ainsi la phase antérieure à l'expérience. Beaucoup de rituels à caractère initiatique (le mariage, la communion, le baptême) accordent une large place au blanc. Son application mortuaire, en Orient, peut d'ailleurs se comprendre dans cette perspective, confirmant la valeur initiatique que constitue la mort en tant que transition d'un état à un autre.
Et l'on a bien l'impression que François voyait dans la mort prochaine de sa femme une transition qu'il jugeait bénéfique car elle constituait un nouveau départ pour lui dans la vie, tant sur le plan sentimental que professionnel. Elle mettrait un terme définitif à une longue expérience douloureuse comme si au fond celle-ci n'avait jamais existé. Par le désir de voir son épouse décéder François est donc à la recherche d'une nouvelle virginité existentielle, un peu à l'exemple d'une femme qui se fait recoudre l'hymen.
Comme le noir, le blanc suggère l'inconnu, le passage d'une dimension à une autre. La page blanche est encore vierge, neutre. Elle ne contient encore aucune marque, aucune empreinte, aucune influence. Elle se situe dans l'état antérieur à toute expérience. C'est précisément cette nouvelle page blanche que veut connaître de nouveau François en voyant son épouse vêtue de blanc. La condensation des deux images (épouse et blancheur) ne doit donc pas nous tromper. Elle est l'expression, sous la forme de la simultanéité, d'un rapport de succession qui est le suivant : une nouvelle vie pure et immaculée succéderait à la disparition de l'épouse.
Mais si le blanc apparaît comme une couleur supérieure, il n'en demeure pas moins, de toutes les teintes, la plus exposée et donc la plus vulnérable. Peu de choses suffit à lui ôter son éclat et à le maculer. La neige, d'une blancheur éclatante, se dégrade facilement et perd sa qualité à la moindre agression. Le blanc possède cette sensibilité des sommets : la plus petite faille lui est fatale. François dit justement à ce sujet que son nouveau départ dans la vie l'inquiétait et l'inquiète toujours en même temps qu'il l'enthousiasme car à partir du moment où l'on redémarre à zéro, même si l'on est animé d'une motivation immense, les appréhensions sont quand même nombreuses car tout est à reconstruire avec tous les risques et les aleas qu'une telle entreprise de reconstruction suppose.
L'idée que le blanc incarne le bien et le noir le mal se retrouve dans de nombreux épisodes ou éléments mythiques. Ces deux couleurs sont aussi souvent opposées ou associées dans les légendes ou les symboles. Parce qu'il lui apporte une mauvaise nouvelle, Apollon maudit le corbeau. Son plumage, jusque-là d'un blanc éclatant, devient à tout jamais d'une triste noirceur. Pourquoi ne pas supposer que dans son rêve François a procédé avec son épouse comme avec le corbeau mais en recourant au procédé de déformation qu'est la représentation par le contraire ? Il aurait ainsi maudit son épouse en transformant sa blancheur initiale en noirceur car elle lui a assombri sa vie par la maladie. Egée, père de Thésée, lui demande de hisser les voiles blanches s'il triomphe du terrible Minotaure qui vit dans le labyrinthe. Thésée, victorieux mais distrait, oublie la promesse et hisse les voiles noires. Egée, apercevant au loin le bateau, est persuadé que son fils a trouvé la mort et, sans plus attendre, se jette dans la mer qui depuis porte son nom.
Une partie de ce mythe peut symboliser la vie de François : sa vie est un labyrinthe tortueux dans lequel vit le Minotaure, lui-même symbole de l'adversité que chacun doit affronter pour avancer dans la vie. Il s'était promis de hisser les voiles blanches de sa victoire. Mais voilà qu'il est contraint de hisser les voiles noires de sa défaite passagère et de se jeter dans la mer. Dans son rêve il se jette dans la mère. En Chine, les deux assistants des dieux des murs et des fossés sont monsieur le blanc et monsieur le noir, qui veillent respectivement sur la ville le jour et la nuit. Les dieux des portes sont également représentés sous les traits de deux guerriers, l'un blanc, l'autre noir, peints sur les battants des portes.
Enfin, dans les mythes perses, Tishtrya, le dieu de la pluie, dans sa lutte contre Apaosha, le démon de la sécheresse, prend l'apparence d'un cheval blanc et son ennemi d'un cheval noir. Dans le rêve de François, on peut encore admettre sans risque d'erreur le fait que ses déboires conjugaux et professionnels sont les chevaux noirs du mythe perse, tandis que lui-même est la pluie potentiellement victorieuse qui envisage de mettre fin à la sécheresse qui s'est abattue sur sa vie. La blancheur de la première partie de la troisième scène du rêve est donc de toute évidence polysémique, surdéterminée car d'elle part tout un faisceau de significations qui peuvent être rapportées à l'idée suivante : "Jusqu'à présent mon épouse et mon métier ne m'ont apporté qu'une accumulation de déceptions. Mais je ne suis pas prêt à me laisser abattre par ces défaites et je ferai tout pour tourner définitivement la page sur ces expériences déplorables pour m'offrir un nouveau départ dès la disparition de mon épouse."
Cette volonté de revivre, de se redresser après la succession de déboires connus s'observe dans la deuxième parie de cette troisième scène du rêve où la femme porte un chaudron. Le chaudron évoque plusieurs idées très différentes chez François mais que l'on pourra rassembler grâce à un dénominateur commun. Avant tout il dit être passionné par la cuisine. Il a toujours l'impression que cette activité offre des possibilités de création infinie. Souvent pour s'évader, il se réfugie dans ses fourneaux et donne libre cours à son imagination en inventant divers mets, ce qui est pour lui une source de repos car, dit-il, cela lui donne l'impression de se libérer de son carcan quotidien. Mais il raconte aussi à propos du chaudron qu'il a toujours été marqué par les dessins animés de son enfance où des sorcières sont représentées dans leur antre avec un chaudron.
On va voir à partir de la symbolique du chaidron que celui du rêve puise sa signification dans ces deux sources pour exprimer une relation logique particulière : le chaudron est un vaisseau de métal dans lequel on fait chauffer, bouillir ou cuire. Ce qu'on y fait c'est avant tout le bouillon et les confitures, mais aussi les cuisines magiques et démoniaques, d'où les chaudières du diable et les chaudrons de sorcières dans les légendes. L'aspect négatif du chaudron renvoie ici au fait que son épouse en particulier, et peut-être la vie en général, lui ont cuisiné des mets maléfiques, autrement dit des situations diaboliques, repoussantes comme si l'on voulait l'achever. Mais il faut également voir que le versant positif du chaudron peut exprimer encore la volonté de François de préparer lui-même un nouvel avenir radieux qui supplantera définitivement ce passé lamentable et exécrable. Le fait que sa femme porte le chaudron serait une accentuation de l'aspect négatif de sa vie qui est dominant tandis que le positif est insinué car il relève de l'espoir.
La relation logique exprimée ici serait : " Si mon épouse, qui est en partie à l'origine de mon désenchantement, décédait, je repartirais sans tarder sur de nouvelles bases. Le mal qui m'a été cuisiné sera remplacé par un bien que je cuisinerai."
On comprend pourquoi le chaudron est aussi, chez les Celtes, l'équivalent de la corne, du vase ou de la jarre en d'autres lieux : c'est le chaudron d'abondance dispensant une nourriture inépuisable, symbole d'une connaissance sans limites. Le chaudron du rêve est donc à la fois le symbole de la privation et de la frustration autant que celui de l'abondance à laquelle notre rêveur aspire.
On notera au passage que François a, comme beaucoup de personnes, puisé dans une symbolique universelle. En effet, on constate que dans la littérature celtique il y a trois types de chaudrons : l'un est le chaudron du Dagda, le dieu druide. C'est un chaudron d'abondance que personne ne quitte sans être rassasié. Dans le rêve, François veut donc dire que tous les manques que lui fait subir jusque-là sa vie seront remplacés par une satiété qui sera l'effet de ses propres initiatives.
L'autre est le chaudron de résurrection dans lequel, selon le récit gallois du Mabinogi de Branwen, on jettent les morts afin qu'ils ressuscitent le lendemain.
Le chaudron du rêve exprime aussi le fait que les espérances déçues seront réalisées. L'espoir mort ressuscitera après avoir été plongé dans le chaudron. Un troisième type de chaudron est sacrificiel. Le roi déchu s'y noie dans le vin ou la bière en même temps qu'on incendie son palais lors de la dernière fête de son règne. Ceci est la même idée exprimée différemment : le roi déchu n'est autre que François déçu. Au lieu de se noyer dans son vin et sa bière il se replie sur lui-même ou va se réfugier dans sa cuisine. Le palais que l'on brûle n'est autre que l'espoir qu'il avait bâti. On a affaire à trois variantes du même talisman divin, ancêtre et prototype du St Graal. En Gaulle, les témoignages tardifs des scholies bernoises (9ès.), recopiant presque certainement des sources antérieures perdues mentionnent un semicupium dans lequel on noyait rituellement un homme en hommage à Teutatès.
Le chaudron d'abondance de Dagda, le Dieu-Efficace seigneur de la science, contient non seulement la nourriture matérielle de tous les hommes de la terre, mais toutes les connaissances de tout ordre. On peut ajouter également que Keridwen, la déesse des poètes, des forgerons et des médecins possédait aussi son chaudron, qui était un centre d'inspiration et de pouvoirs magiques. Le chaudron du rêve de François doit donc aussi être interprété comme une source d'inspiration, de connaissances et de pouvoirs certes pas magiques pour notre rêveur mais considérable en ce sens qu'il a confiance en lui-même malgré toutes les déconvenues qu'il a connues. Le chaudron de son rêve est une représentation imagée de son sens tactique et de son esprit stratège. Le chaudron se retrouve dans maintes légendes helléniques : la cuisson dans un chaudron est une opération magique destinée à conférer à celui qui subit cette épreuve des vertus diverses, à commencer par l'immortalité. Dans tout cela nous sommes en présence d'un mythe à caractère nettement initiatique, explicatif et interprétatif des périls qui menacent les enfants ou les adolescents. Donc solidaire de pratiques très archaïques.
Il est probable que cette symbolique doive aussi s'appliquer au chaudron du rêve qui nous préoccupe compte tenu du contexte dans lequel il est apparu. François se perçoit certainement comme quelqu'un qui est obligé de "cuire dans un chaudron" autrement de subir les épreuves de la vie afin que les douleurs de la cuisson, c'est-à-dire les souffrances générées par son combat dans la vie le fortifient et anéantissent la peur de la mort face au danger. L'acquisition de valeurs nobles et éternelles comme le courage, la fierté, l'honneur, auxquelles on est prêt à sacrifier sa vie, équivaut pour lui à l'acquisition de l'immortalité. C'est probablement en ce sens qu'il nous faut interpréter certains mythes grecs qui présentent le passage dans le chaudron comme une sorte d'ordalie qui décidera de la nature divine du sujet (l'ordalie est l'épreuve judiciaire, au Moyen-Âge, qui consistait à faire dépendre de Dieu la culpabilité ou l'innocence d'un accusé).
Thétis, désireuse de savoir si les rejetons qu'elle au eus de Pélée sont mortels, comme lui, elle les plonge dans une bassine ou un chaudron plein d'eau ou ils périssent par noyade, ou, selon d'autres, dans un chaudron d'eau bouillante dont naturellement ils ne se ressentaient pas mieux.
Quant à Médée, elle faisait cuire le vieux Pélios dans un chaudron sous le fallacieux prétexte de lui rendre la jeunesse. Le premier mythe nous fait penser que François se voit peut-être lui-même comme une divinité, à l'instar de Thétis. Il aurait épousé de simples mortelles (sa profession et son épouse), puis, s'interrogeant sur les rejetons ou conséquences de ces unions, autrement dit sur leur valeur, et ce en les plongeant dans le chaudron de sa propre réflexion, il s'aperçoit qu'ils ne sont que de vils mortels, autrement dit ils ne correspondent pas aux idéaux qu'il s'était fixés et qu'ils sont donc indignes de lui.
Le chaudron symbolise le lieu et le moyen de la revigoration, de la régénérescence, voire de la résurrection, bref, des profondes transmutations biologiques. Mais l'ambivalence du symbole fait aussi du chaudron un prélude, par la mort et la cuisson, à la naissance d'un être nouveau. C'est à la recherche de celui-ci que François s'est lancé ou tente de se lancer en voulant tourner une page définitive sur un pan entier de son existence, notamment par le désir de voir son épouse décéder en entrant dans la forteresse dont normalement on ne ressort jamais car elle est dans ce rêve le symbole d'un lieu de détention dont les fortifications sont inexpugnables.
Jusqu'à présent nous avons vu que ce rêve exprime deux tendances majeures opposées : la volonté de combattre, de se redresser, mais aussi la régression psychique à des stades antérieurs du développement sous l'action de déceptions profondes. Le rêve est donc fondamentalement la représentation du conflit, comme la suite va encore nous le montrer, entre ces deux tendances avec de temps en temps une victoire de l'une sur l'autre.

d - Puis la grange se transforme en une église d'où sort ma soeur portant une robe de mariée
Cette scène lui rappelle son propre mariage. Les convives furent très nombreux. Il y avait parmi eux des amis mais aussi des collègues et des membres des familles des mariés. Il ne sait pas pourquoi ce jour-là il fut pris d'un malaise indéterminé, surtout après que sa soeur, pour le féliciter, l'eût étreint très fortement contre elle.
Il eut du mal à s'avouer avoir ressenti une sorte de désir sexuel pour sa soeur ou en tout cas l'étreinte avait provoqué, dit-il, mécaniquement ce genre de réaction qu'il ne fallait pourtant imputer à une tendance latente à l'inceste. Le mariage s'était déroulé d'abord à la mairie puis à l'église. Il se dit que malgré son athéisme l'édifice religieux lui avait fait une impression inoubliable. Il lui paraissait majestueux, imposant et l'intérieur était propice à la quiétude. Que signifie donc cette scène où sa soeur en robe de mariée sort de l'église ?
Sa femme qui était chrétienne lui avait dit que l'église, souvent comparée à la vierge, est encore nommée l'épouse du Christ. Ainsi, au lieu de représenter directement sa soeur comme son épouse dans le rêve il l'associe à l'édifice religieux et se compare donc lui-même au Christ qui a souffert. Cette association de l'église à la femme n'est pas rare. Dans se visions, Hildegarde de Bingen (XIIès.) revient fréquemment sur l'église. Elle dira apr exemple : j'ai vu une image de femme immense et semblable à une cité. Elle portait sur la tête une merveilleuse couronne. De ses bras des rayons de gloire descendaient allant du ciel à la terre. Son ventre ressemblait à un filet aux milles mailles par où entrait et ressortait un grand nombre de personnes.
Une autre vision présente l'église sous les traits d'un buste de femme. Elle est adossée à une tour formée par une seule grande pierre blanche. Dans le Pasteur, qui appartient aux apocalypses apocryphes, Heras décrit l'église à travers ses visions. Dans la prière, il la considère sous les traits d'une matrone vieille et vénérable.. Peu à peu celle-ce se dépouillera de sa vieillesse. Elle deviendra dans la quatrième vision comparable à une mariée symbolisant les élus de dieu.
Si la femme apparaît âgée c'est parce que l'église fut créée comme la première des créatures. Ainsi l'église considérée comme l'épouse du Christ et le mère de tous les chrétiens, tout le symbolisme de la mère lui est à cet égard applicable. Et c'est ce qui transparaît dans ce rêve. Sous l'action des déceptions infligées par la vie, François est retourné se réfugier dans le giron maternel symbolisé par l'église. Puisque son mariage fut jalonné de déconvenues, tout comme sa vie professionnelle, il restaure l'état antérieur où il avait effectivement épousé l'être qui lui est le plus cher, sa mère. Mais selon un processus psychique connu, il se produit chez lui un déplacement de la mère vers la soeur, tout comme la fille peut transférer sur son frère l'amour qu'elle éprouve pour son père.
Dans cette quatrième partie du rêve, François exprime donc un désir oedipien réactivé par une succession de frustrations ayant provoqué une régression à des stades prégénitaux. Si l'on rajoute à cela que notre rêveur souligne que la robe de mariée portée par sa soeur dans le rêve présentait de nombreux points communs avec la robe de mariée portée par son épouse le jour de leurs noces on n'hésitera pas à voir là une confirmation de notre interprétation selon laquelle c'est bien sa soeur qu'il épouse dans son rêve.
François évoque encore une chose très intéressante concernant l'architecture de l'église. Sa femme lui avait dit que l'entrée de l'église était à l'ouest, lieu du soleil couchant, des ténèbres et de la mort que le fidèle laissait symboliquement derrière lui en entrant dans le sanctuaire et en s'approchant de l'autel, à l'extrémité est, direction du soleil levant, de la lumière et de la résurrection. Or dans son rêve sa soeur n'entre pas dans l'église mais en sort. Logiquement cela devrait signifier qu'elle se dirige vers le soleil couchant, les ténèbres et la mort et qu'elle laisse derrière elle le soleil levant, la lumière et la résurrection. Mais cela ne cadre pas du tout avec la signification globale du rêve selon laquelle le rétablissement indirect du lien à la mère par l'interméfiaire de la soeur avait pour fonction d'offrir des compensations affectives à toutes les frustrations.
Le lien à la soeur est donc comme un soleil levant, une lumière et une résurrection pour François. Il laisse donc derrière lui le soleil couchant de sa vie professionnelle et conjugale. Le rêve est donc dans cette quatrième partie la représentation par le contraire du désir de renouer avec la soeur afin de retrouver dans une relation ancienne la félicité dont le prive son existence actuelle.
Mais, comme la suite du rêve va nous le rappeler, cette recherche de la sécurité et du bonheur dans la restautation d'une situation ancienne de type oedipien ne se fait pas au détriment de la volonté d'avancer dans la vie. Bien au contraire, on a l'impression que notre rêveur se comporte comme un voyageur qui a quitté une auberge où on lui a donné des vivres et du carburant pour mener à bien son périple. Mais à la suite d'une panne de carburant il retourne chez ces mêmes hotes pour se réapprovisionner et achever son voyage. C'est exactement là la signification de la cinquième partie du rêve.

e - Elle me tend une urne funéraire

Cette scène lui fait penser d'abord aux obligations douloureuses qu'il a dues affronter après le décés de sa femme. Il lui est arrivé par exemple de s'arrêter devant la vitrine d'une boutique d'articles funéraires où sont exposées entre autres des urnes. Il avait été alors en proie à des réflexions sur l'absurdité de la vie, sur la disproportion atterrante entre l'intensité des années vécues avec quelqu'un et l'insignifiance d'une urne à laquelle finit par se résumer cette vie. Mais l'urne lui fait penser aussi à un reportage télévisé dans lequel des plongeurs avaient remonté du fond des océans des urnes pleines de vivres anciennes, de vins et de pièces précieuses.
Ces images lui firent songer qu'il aimerait aussi découvrir un trésor semblable et qu'il ne se contenterait pas d'espérer et d'attendre passivement mais qu'il oeuvrerait activement à la découverte ou à la construction d'un tel trésor pour dépasser définitivement une situation matérielle qui ne lui convient pas du tout. On voit que François a projeté dans les urnes qu'il a vues dans le magasin et dans le reportage télévisé des pensées relatives à sa propre existence. C'est précisément cette double signification que l'on retrouve dans l'urne de son rêve. Vase funéraire qui renferme les cendres d'un défunt, l'urne diffère d'un sarcophage qui enferme le corps non incinéré. Ces vases funéraires de formes rondes ou carrées, en métal, en marbre ou en verre évoquent le symbolisme de la demeure ou maison. Le fait que sa soeur lui tend une urne signifie donc d'une part que son passé est réduit en cendre, anéanti, que la résurrection de ce passé est désormais impossible. Il n'a pas conservé ce passé dans un sarcophage. Ce passé n'est donc pas un corps non incinéré susceptible de provoquer de la nostalgie, cet attachement affectif inaltérable au passé qui peut compromettre gravement l'aptitude à affronter le présent et à bâtir l'avenir.
Cette urne de son rêve signifie d'autre part le souci de trouver un refuge dans un nouveau lieu qu'il est urgent de construire afin de ne pas se laisser désarçonner par le dépit. On a l'impression que sa soeur lui dit dans le rêve, en lui tendant l'urne : " Ton passé est aboli, tes désirs n'étaient que des illusions perdues. Reviens vers moi, je t'offrirai la protection dont tu as besoin. "
Cette signification est en partie correcte mais il faut la compléter par celle-ci : " Viens puiser dans ton passé d'enfant, comme l'on viendrait puiser dans une source de jouvence, tout le breuvage dont tu as besoin pour te construire un avenir solide. " C'est pourquoi, vue sous cet angle, on comprend que l'urne soit auusi, dans les arts, le vase d'où l'eau sécoule et qu'elle symbolise la fécondité des fleuves. L'eau est source de vie, et sa soeur lui dit donc dans le rêve de venir s'abreuver à cette urne afin d'étancher sa soif de réussite.
D'une façon générale l'urne se rattache au principe féminin, ajoutant à la sécurité de la maison le dynamisme de la fécondité. Dans le bouddhisme chinois elle est une des huit figures de la chance. Dans le rêve de François, l'urne est aussi l'évocation d' un principe essentiellement féminin car il admet que l'amour que lui-même et sa mère se sont mutuellement voué fut une source de motivation incommensurable. Si l'on admet que son épouse fut le substitut de sa mère il faudra conclure que l'original est toujours en lui et qu'au besoin il retourne s'y ressourcer pour aller de nouveau de l'avant.
On peut encore dire, concernant l'urne, que dans les démocraties elle sert à recueillir les bulletins de vote. L'ouverture du sommet sert de passage aux volontés populaires qui s'expriment par les suffrages. L'urne symbolise le régime électoral et à la fois l'un des réceptacles et l'une des expressions de la volonté du peuple. Les bulletins, les eaux, les cendres, confondus dans une même urne, font de celle-ci, en définitive, le symbole de l'unité, unité sociale, unité du principe vital (eau), unité de l'être humain. D'une façon plus générale encore, l'unité de la diversité à travers l'écoulement perpétuel et la succession de la mort et de la vie. Appliquée à l'urne du rêve on peut dire que cette symbolique signife que François cherche à rétablir en lui-même l'unité qui a été sérieusement ébranlée par les événements tragiques qu'il a vécus. C'est cet optimisme et ce souci fondamental de repartir sur de nouvelles bases qui est exprimé essentiellement par tout le rêve.

                                                 

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