mercredi 9 mars 2011

Aphanisis


En 1927, Ernest Jones introduit ce concept dans la psychanalyse pour désigner la crainte de la disparition du désir conçu comme une entité biologique. Lors du séminaire IV, Lacan critique cette conception. Cependant il retient le terme pour désigner la disparition du sujet.
n.f. (angl. aphanisis)
Psychan. Altération profonde de la libido menant à une perte de désir sexuel ou la crainte de cette perte. Concept important de la psychanalyse, elle est en lien avec la castration et représente un signe névrotique.
Pour Ernest Jones, l'aphanisis est un signe névrotique de castration chez l'homme et la femme, exprimant la crainte de perte du désir ou au contraire, comme l'indique Lacan, un but à atteindre chez les névrotiques, pour échapper à la division de soi. Selon Lacan, cette crainte ou cette conception a pour origine l'expérience de castration liée au complexe d'Oedipe.
Jones fait de l'aphanisis la substance de la crainte de la castration. - C'est [au contraire] parce qu'il peut y avoir castration, (...) que dans le sujet s'élabore cette dimension où il peut prendre crainte, alarme, de la disparition possible, future de son désir. - [cad que la] prise de position du sujet dans le signifiant implique la perte, le sacrifice d'un de ses signifiants entre autre - 10/06/59 - [la structure du fantasme] il est bien entendu que c'est un temps suspendu - ce n'est pas en tant qu'aphanisis du désir, c'est en tant qu'à la pointe du désir il y a aphanisis du sujet -

1964 - Les quatre concepts… - 200 - Ce dont le sujet a à se libérer, c'est de l'effet aphanisique du signifiant binaire [ce pourquoi le sujet est représenté par un autre signifiant]
Le traitement le plus recommandé par les sexologues c’est Vigaplus Lorsqu’elle ne consiste que dans une absence de désir sexuel, on parler d’aphanisis. Causes de l’impuissance masculine L’impuissance sexuelle, comme son nom l’indique, signifie toujours une grande difficulté de nature psychologique qui reste au premier plan, sauf en cas de déficit en hormones testiculaires. Mais elle peut surtout [...]
 
Aphanisis est un concept important dans la psycho-analyse de Lacanian (cf. Les quatre concepts fondamentaux de la psycho-analyse), bien que, après Jones, Lacan se soit approprié et ait changé la signification de la limite légèrement sensiblement. Dans la théorie de Lacanian, l'aphanisis décrit le processus par lequel un sujet est éclipsé derrière n'importe quel signifiant employé pour concevoir de elle. Le sujet en tant que tel est en conséquence barré, un seul interstice ; le signifiant règne suprême. Barré et riven par l'autre (de la langue), un sujet n'a aucun choix mais pour concevoir d'elle-même vis-à-vis de quelque chose autre qu'elle-même, quelque chose « extérieur » ou radicalement séparé de elle. Dans ce processus même de la conception d'elle-même, de se rendre thinkable, et ainsi communicable, un sujet accomplit son propre aliénation radical. Puisque l'autre est le moyen unique par lequel un « sujet » peut être rendu thinkable, l'aphanisis, la disparition ou l'effacement du sujet derrière n'importe quel signifiant employé pour concevoir de lui, est un concept essentiel pour la subjectivité d'arrangement et le péril du vide fondamental du sujet.

Lacan semble avoir toujours attaché un réel intérêt aux travaux de Jones. Dans les Écrits par exemple, son intervention sur la théorie du symbolisme chez Jones n'a sans doute pas seulement une valeur de circonstance. Lacan a accordé de l'importance aux recherches très documentées de Jones, qu'elles concernent les travaux sur Hamlet ou encore le cauchemar, dont on a parlé hier. Et puis sur un plan plus théorique, on peut penser à la reprise et à la discussion du terme d'aphanisis, sur lequel Lacan revient bien souvent. Je vous rappelle que celui-ci désignait chez Jones une crainte de " l'abolition totale de la capacité ( et de l'occasion ) de jouir ", une crainte qui concernerait donc le risque d'abolition totale de la sexualité. Ce serait cette aphanisis qui constituerait ce qu'il y aurait de commun aux hommes et aux femmes. Cette crainte pourrait se traduire chez l'homme par la peur de la castration. Chez une femme en revanche elle prendrait généralement la forme d'une peur de la séparation. Lacan critique bien sûr cette notion d'aphanisis. Par exemple dans le Séminaire sur L'angoisse il répète que ce terme que Jones applique au désir ne s'applique qu'au phallus. Il y a pourtant des textes où il reconnaît à la thèse de Jones une valeur en ce qui concerne le névrosé. Chez le névrosé, pour qui le complexe de castration est insuffisamment articulé, il peut y avoir cette crainte de la disparition du désir. Et puis on peut penser que Lacan n'aurait pas repris le terme pour en faire un de ses concepts ou un de ses signifiants essentiels s'il avait considéré comme négligeable l'élaboration de Jones.
Avançons un peu. Ce que je voudrais aborder aujourd'hui plus précisément ce sont des questions qui sont voisines de cette discussion sur l'aphanisis. Jones en effet amène ce terme dans le cadre d'une discussion de la théorie freudienne de la sexualité féminine. Ce qu'il veut éviter, c'est de devoir situer les femmes comme les hommes dans un rapport au phallus et à la castration. Ça le conduit à toute une élaboration qui est assez connue. Je ne peux bien sûr pas la reprendre dans son ensemble et je pense qu'il est d'ailleurs plus intéressant de s'y référer à partir de ce qu'en dit Lacan.
La première référence importante sur ce point se trouve dans la leçon XVI. Or de quoi s'agit-il dans cette leçon? Lacan est précisément en train de tenter de présenter le rapport différent des hommes et des femmes à la castration. Bien sûr pour une femme il y a aussi constitution de l'objet a du désir. Une femme veut elle aussi l'objet, et même un objet en tant qu'elle ne l'a pas. Mais cela, dit-il, cela fonctionne surtout au niveau du rapport à la mère, c'est à dire à la demande : ainsi sa revendication du pénis elle même est liée au rapport à la mère, à la tentative pour s'approprier ce que celle-ci possède. Lacan va dès lors dire que l'insatisfaction foncière dans la structure du désir féminin est précastrative. En somme la castration concerne moins directement les femmes. Une femme, le phallus on ne peut pas le lui prendre - puisqu'elle ne l'a pas. Et c'est donc dans ce contexte qu'il va dire : si une femme s'intéresse à la castration " c'est pour autant qu'elle va entrer dans les problèmes de l'homme, c'est secondaire, c'est deutéro-phallique, comme avec beaucoup de justesse l'a articulé Jones."
De quoi s'agit-il dans cette allusion au deutéro-phallique? Vous savez que pour Freud au stade phallique il y a, chez les deux sexes, cette croyance selon laquelle il n'existe qu'un seul organe génital, l'organe mâle. La reconnaissance de la différence des sexes est postérieure, elle est le plus souvent déniée, et elle ne peut que provoquer la peur de la castration chez le garçon, l'envie du pénis chez la fille. Les discussions de l'époque tournent dès lors autour de la connaissance ou de la méconnaissance du vagin, ou encore autour du fait que la petite fille considérerait le clitoris comme un pénis. Sans doute aurait-il été plus simple de reconnaître qu'un seul organe pour les deux sexes, c'est sans doute plutôt un symbole qu'une réalité organique. Quoi qu'il en soit Jones s'inscrit en faux contre la conception freudienne. Il tente de présenter ce qu'il en serait d'un développement psychosexuel spécifiquement féminin. Il est d'avis que s'il y a dès le départ une envie pour la fille de posséder un pénis bien à soi, cette envie coexiste d'abord avec le développement d'une libido plus spécifiquement féminine, attachée à d'autres parties du corps, idée sur laquelle je vais bientôt revenir. Et c'est seulement la déception de ne jamais pouvoir dans le coït, partager le pénis avec la mère et obtenir un bébé, qui mettront au premier plan ce désir de posséder un pénis. Il y a là en quelque sorte une compensation, quelque chose qui apparaît effectivement comme secondaire. Par ailleurs, pour répondre à certaines critiques de Freud, Jones va affirmer que tout ce qu'il dit sur le stade phallique concerne en fait une seule de ses phases. Il faut selon lui distinguer d'une part une phase proto-phallique, placée sous le signe de l'innocence et de l'ignorance, du moins au niveau de la conscience. ( ce serait dans ce stade proto-phallique qu'il n'y aurait pas de différence des sexes ), d'autre part une phase deutéro-phallique où s'éveillerait le soupçon que le monde se divise en deux classes, sujets possédant un pénis et sujets châtrés. Sa discussion de Freud, affirme-t-il concerne en fait ce qui se passe dans cette deuxième phase.
Que veut alors dire Lacan quand il se réfère là dessus à Jones? Apparemment ce qui est important c'est que la fille ne se perçoit comme castrée que de façon secondaire. Cependant il ne semble pas que Lacan reprenne dans les détails ce qui fonde cette thèse de Jones. Je me suis par exemple demandé ce que pouvait vouloir dire chez Lacan cette idée qu'une femme ne s'intéresse à la castration que pour autant qu'elle va entrer dans les problèmes de l'homme. J'ai pensé à ce que montre souvent l'expérience : souvent une femme fait état de la rencontre de certaines limites surtout à travers ce qu'elle peut dire des limites de son partenaire. Une de ces limites, bien sûr, c'est le fait qu'il est assujetti à son désir sexuel. Est-ce à cela que renvoie Lacan? En tout cas je n'ai rien trouvé chez Jones qui me paraisse illustrer très clairement ce que dit précisément Lacan au moment où il le cite. Mais alors pourquoi le cite-t-il ici?
Je laisse cette question en suspens, et pour aller vite je fais maintenant un saut à la fin du chapitre XX où je relève un passage surprenant, un passage qui apparemment ne concerne pas explicitement Jones, mais qui n'est pas sans rapport avec la question que j'essaie de poser. D'ailleurs au tout début de la leçon suivante, la leçon XXI, Lacan va citer Jones à propos de l'ignorance du vagin.
De quoi s'agit-il à la fin de la leçon XX? Lacan évoque le fait que les femmes se trouvent plus près de la jouissance que les hommes, mais aussi que de cette jouissance elle se trouvent - dit-il - doublement commandées. Il y a sans doute là une anticipation des thèses d'Encore, mais dans des termes très différents.
Que nous dit en effet Lacan? Il nous dit que le lieu de la jouissance chez une femme est un point assez archaïque pour être plus ancien que le cloisonnement présent du cloaque. Et cela a été, ajoute-t-il, dans certaines perspectives analytiques, par telle analyste, et du sexe féminin, parfaitement repéré.
Puisqu'il est question de références l'analyste femme auquel Lacan se réfère, c'est sans doute Lou Andréas-Salomé. C'est elle en effet qui écrit dans l'article"Anal" et "sexuel" que " ce n'est pas pour rien que l'appareil génital reste voisin du cloaque ( chez la femme il n'en est même guère qu'une partie prise en location ".Toutefois il me semble que Lacan poursuit en même temps dans ce chapitre son dialogue avec Jones.
Dans l'article sur " le développement précoce de la sexualité féminine " Jones reprend en effet le point de vue qui était celui de Lou Andréas Salomé. " L'anus, écrit-il, est évidemment identifié avec le vagin, la différenciation entre les deux faisant l'objet d'un processus extrêmement obscur, peut-être plus qu'aucun autre de l'évolution féminine. " Notons que pour lui cette question s'inscrit dans une analyse plus complète des voies empruntées par le développement de la libido chez une femme, un développement spécifique qui ne serait pas organisé autour de la question du phallus, mais qui migrerait, pour ainsi dire de la bouche à l'anus et au vagin. " L'attitude orale, écrit-il, est principalement de succion et suivant la transition bien connue évolue vers le stade anal. Les deux orifices alimentaires constituent donc l'organe récepteur féminin ". Il est sans doute vrai alors, comme Valentin Nusinovici me le faisait remarquer, que Lacan dit pour sa part dans ce passage que le désir est chez la femme là où il doit être selon la nature, c'est à dire tubaire, et que si nous voulons être précis anatomiquement nous serions ici plutôt renvoyé à une autre partie de l'anatomie féminine, c'est à dire aux trompes de Falope. Mais précisément à ce moment là Lacan indique bien qu'il s'agit du désir " qui n'est pas la jouissance ", ce qui dans le contexte ne simplifie rien.
De quoi s'agit-il en effet? Le désir féminin, souligne Lacan, est commandé par la question de la jouissance. Et le lieu de celle-ci serait donc " un point assez archaïque pour être plus ancien que le cloisonnement présent du cloaque ". C'est cette jouissance, située en ce lieu, qui commanderait un désir " tubaire ". Ici les questions abondent. Pourquoi Lacan donne-t-il une telle place à l'anatomie? Je verrai volontiers dans ce non-cloisonnement du cloaque surtout une dimension fantasmatique, qui apparaît effectivement souvent, par exemple dans des rêves, à certains moments de l'analyse. Mais cela devrait nous conduire à nous demander comment nous pouvons rendre compte et de cette expérience, et de la façon dont Lacan à l'époque tente de l'éclairer. S'agit-il de quelque chose qui serait plus proche d'une jouissance du corps, à distinguer donc effectivement d'une jouissance phallique? Est-ce une façon d'anticiper sur la notion d'une jouissance Autre?
Quoi qu'il en soit, après avoir parlé de cette jouissance qui est en rapport avec un lieu archaïque, Lacan dit que l'homme ne poussera jamais jusque là la pointe de son désir. Qu'est-ce que ça veut dire? Est-ce devant ce qu'une femme peut lui indiquer d'une jouissance Autre que l'homme recule? Ça le renvoie sans doute au fait que lui même est davantage assujetti à la jouissance phallique, une jouissance limitée, entre autres, par sa propre physiologie.
En tout cas ce que dit Lacan c'est qu'il y a là un échec de l'homme. Dans cet échec l'homme montre qu'il n'est pas tout puissant. Et que c'est pour cela que les femmes vont reprendre, si j'ose dire, le flambeau. C'est le fameux thème de la mascarade. Une femme en vient à présenter ses attributs féminins d'une certaine façon, elle en fait l'équivalent d'un objet non-détumescent. Lacan dit que c'est au prix de faire bon marché de sa jouissance. Entendons que c'est au prix de renoncer à une jouissance qui serait féminine, ou comme il le dira plus tard, pas toute phallique.
Mais ce qui ici m'intéresse particulièrement c'est que ce développement reprend sans doute celui sur lequel nous en étions resté dans la leçon 16. Est-ce que nous ne comprenons pas mieux à présent ce que cela veut dire, qu'une femme ne s'intéresse à la castration qu'en tant qu'elle va entrer dans les problèmes de l'homme? Nous dirons que c'est parce que l'homme ne peut aller plus loin dans la jouissance sexuelle, parce qu'il y a un échec masculin sur ce plan, qu'une femme veut faire mieux que l'homme. C'est cela seulement qui la vouerait à la mascarade comme forme privilégiée de la revendication phallique.
Alors si je voulais parcourir toutes les références que Lacan fait à Jones il y aurait bien sûr bien d'autres passages à commenter, et en particulier ce qu'il développe à partir de l'article sur " la conception de la vierge par l'oreille ". Comme j'ai décidé d'être court je vais plutôt terminer en formulant une hypothèse plus générale, que mon intervention ne justifie sans doute pas suffisamment.
Lacan dans le Séminaire sur L'Angoisse en vient à un moment de son enseignement où il accentue ce qui distingue l'homme et la femme relativement au complexe de castration. La négativation du phallus, dit-il dans la leçon 15, cette nécessité du -j qui est au centre du désir de l'homme, n'est pas pour la femme un noeud nécessaire. C'est sûrement un pas décisif. N'est-il pas alors concevable que Lacan ait eu besoin de s'appuyer entre autres, pour l'accomplir, sur une lecture de Jones? On pourrait s'en étonner puisque les théories de Jones sur la sexualité féminine s'inscrivent en bonne place dans un courant analytique qui conteste la théorie du primat du phallus pour un sexe comme pour l'autre et que Lacan est loin de donner son aval à ce courant. Mais il ne faut sans doute pas oublier comment procédait Lacan, et comment au fond procède la psychanalyse. Ce que nous avançons n'est jamais le produit d'un développement continu, homogène, sans contradiction. Ce que Lacan faisait souvent, ce que nous avons peut-être à faire un peu plus, c'est qu'il poussait jusqu'au bout certaines thèses peut-être pour voir jusqu'où elles pouvaient conduire, quitte à les discuter ensuite. Il s'agit en somme de maintenir un certain usage de l'objection dans le questionnement lui même. C'est sans doute important pour nous et il me semble que cela devrait nous aider à réfléchir à notre travail, y compris dans la perspective des états généraux.

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