lundi 28 mars 2011

Compulsion de répétition


 Définition

Il s’agit d’une tendance à répéter la même situation à l’infini, le plus souvent à la recherche de la résolution d’un conflit* ou d’un traumatisme* ancien et refoulé (voir : Refoulement). Le sujet revit alors la même situation, à quelques variantes près, espérant inconsciemment trouver la solution ou provoquer une abréaction* qui le libèrera. C’est le cas de certaines personnes qui, on pourrait dire systématiquement, ont des relations amoureuses avec d’autres qui ne cessent de profiter d’elles ou sont alcooliques, toxicomanes, violentes, perverses etc. C’est un symptôme* complexe qui s’observe dans diverses pathologies, il fait partie du rituel de la névrose obsessionnelle* par exemple. Il se manifeste souvent dans les rêves, ceux-ci ne sont pas toujours semblables (bien qu’il existe des rêves récurrents) mais l’affect provoqué, les éléments marquants, ont une similarité qui apparaît après leur analyse.
Initialement la compulsion de répétition est un concept psychanalytique introduit par Freud. Il s'agit de décrire la répétition qui affecte le sujet d'un traumatisme.
Différents travaux, depuis la fin des années 80 et la découverte de l’EMDR, ont permis d’éclairer différemment ce concept à partir des neurosciences et de la notion introduite par Francine Shapiro de réseaux de mémoires.

Première conception

 Freud conçoit d'abord, en 1914, différentes figures de la répétition, notamment le transfert. La compulsion décrit alors l'obsession à répéter qui fait suite à un échec de la remémoration.

Jeu de la bobine

 

Après la Première Guerre mondiale, Freud découvre le traumatisme. Néanmoins, il élaborera la nouvelle conception de la compulsion de répétition, en 1920 à partir de l'observation d'un enfant.

Le jeu du Fort Da s’insère dans une remise en question du principe de moindre excitation qui seul régirait l’appareil psychique. S. Freud, dans Au-delà du principe de plaisir (1920), note que la répétition, observée dans plusieurs comportements, dont le jeu de son petit-fils Ernst, vient contredire ce principe et postule finalement qu’il existe un autre principe basé sur une compulsion de répétition, le principe de mort. Le jeu du jeune Ernst, garçon âgé d’un an et demi, sage, possédant quelques rudiments de langage, quelques phonèmes ou interjections, est simple en apparence. « Ce bon petit garçon avait l’habitude, qui pouvait être gênante, de jeter loin de lui dans un coin de la pièce, sous le lit, etc.... tous les petits objets dont il pouvait se saisir, (...). En même temps, il émettait avec une expression d’intérêt et de satisfaction un « o-o-o-o- », fort et prolongé, qui, de l’avis commun de sa mère et de l’observateur, n’était pas une interjection mais signifiait « parti », en allemand « fort » (page 52, éditions Payot). Un autre jour Freud est témoin d’un jeu à l’aide d’une bobine que l’enfant jette loin de lui en prononçant l’interjection « o-o-o-o- », et qu’il ramène grâce au fil en énonçant un joyeux « da ». Le jeu complet consiste donc en un aller retour de l’objet, dont il ne fait pas de doute que le retour devrait être le moment le plus heureux. Pourtant, remarque Freud, la répétition du premier acte du jeu est plus fréquente que le jeu complet et semble donc suffire à l’enfant. Dans un troisième temps, au cours de longues absences de sa mère, l’enfant « avait trouvé un moyen de se faire disparaître lui-même. Il avait découvert son image dans le miroir qui n’atteignait pas tout à fait le sol et s’était accroupi de sorte que son image dans le miroir était “partie” ». Au retour de sa mère, Ernst prononça « bébé –o-o-o-o » pour signifier son retour. Freud rapporte également les réactions de l’enfant dans deux situations difficiles, celle de l’absence du père parti à la guerre, puis du décès de sa mère, mais nous nous arrêterons ici au jeu du fort da. Cette situation d’un simple jeu enfantin s’avère d’une extrême richesse, Freud en développera plusieurs points d’analyse du point de vue métapsychologique. La bobine prend le statut d’objet symbolisant la mère dans sa présence et absence. L’acte de jeter cet objet correspond pour l’enfant à se séparer de la dyade mère enfant, à passer d’un registre passif à celui d’actif, nous dit Freud, afin de répondre à une pulsion d’emprise. Mais cette interprétation n’est pas suffisante pour expliquer la répétition du premier acte du jeu, celui là même où le manque apparaît. Le jeu devant le miroir amène S. Freud à supposer à l’enfant un désir de vengeance envers cet objet frustrant. Mais un des éléments plus particulièrement remarquable de ce jeu enfantin reste l’oralisation des deux phonèmes, fort pour désigner la présence dans l’absence et da pour l’absence dans la présence qui signe un réel acte de création. Cela permet, nous dit S. Freud, à l’enfant de tolérer le renoncement à une manifestation pulsionnelle de colère quand sa mère le quitte.
Le but de la cure est de rendre conscient l'inconscient. Mais le problème est que le patient tend à répéter le refoulé comme expérience vécue dans le présent plutôt que de se le remémorer comme un fragment du passé. La névrose antérieure est remplacée par une nouvelle névrose, la névrose de transfert, dont le contenu est un fragment de la vie sexuelle infantile répétée dans le rapport au médecin (transfert).
L'inconscient ne résiste pas, au contraire, il tend à se frayer un chemin vers la conscience où à se décharger. La résistance provient du moi, dont une grande part est elle-même inconsciente. Le travail de la cure vise à relâcher le refoulement.
La compulsion de répétition apporte du déplaisir au moi, car elle fait remonter des pulsions incompatibles avec la réalité. Dans le transfert, les névrosés répètent et font revivre des situations affectives douloureuses, qui auraient du mener à la satisfaction, sans tenir compte du fait qu'elles n'ont apporté que du déplaisir. On peut comparer cela au comportement de personnes qui se retrouvent toujours dans la même situation, comme si le destin se répétait, et aussi à la névrose traumatique ou à l'impulsion à jouer chez l'enfant.

Dans le jeu du Fort/Da, le plus grand plaisir s'attache au retour de l'objet (Da), et pourtant l'enfant préfère la phase de disparition (Fort), qu'il maîtrise
L'enfant a bon caractère. Il est généralement obéissant, mais il a l'habitude de jeter loin de lui, dans un coin de la pièce ou sous le lit, tous les petits objets dont il peut se saisir . En même temps, il émet avec une expression d'intérêt et de satisfaction un o-o-o-o prolongé qui signifie "parti" (Fort). Un jour, il dispose d'une bobine avec une ficelle attachée autour. Il peut jouer au jeu complet en tirant la ficelle et saluant sa réapparition par un joyeux "voici" (Da). C'est le jeu complet.
Le départ de sa mère peut lui être indifférent, voire agréable, s'il arrive à le transformer en jeu. Il assume un rôle actif en mettant en scène sa disparition. Pourquoi ce jeu lui apporte-t-il du plaisir, alors qu'il s'agit d'un événement déplaisant ? Il affirme son indépendance, Il assume une pulsion d'emprise en contrôlant ce départ, et en plus il se venge et satisfait une pulsion agressive. Il ne peut répéter une impression désagréable que parce qu'un gain de plaisir d'une autre sorte est lié à cette répétition. De quoi s'agit-il? Du plaisir qui s'attache à la capacité de lier les excitations.
Freud rapproche ce comportement de l'enfant à celui de l'imitation artistique chez l'adulte.

 

Métapsychologie

La première notion de compulsion de répétition est liée à la notion de trace mnésique et de décharge. Un souvenir ne peut être réinvesti, et la satisfaction manque alors. Le souvenir, refoulé, s'exprimera à travers des actes.
Plus la résistance sera grande plus la mise en actes se substituera au souvenir.
La seconde signification de la compulsion de répétition remet en cause le principe de plaisir dans lequel le sujet recherche la décharge - la pulsion étant comprise comme une énergie.
Si Freud distinguait jusque là entre principe de plaisir et principe de réalité (capable d'ajourner la satisfaction), il y a joint dans Au-delà du principe de plaisir le principe de Nirvana, tendance du psychisme à supprimer toute excitation.

 La compulsion de répétition caractérise la vie organique dans son ensemble, en tant qu'elle est fondamentalement conservatrice

Freud fait remarquer que les pulsions primaires sont indépendantes du principe de plaisir. En tendant à restaurer un état antérieur, elles sont l'expression de l'inertie de la vie organique. On peut les rapprocher du comportement de certains poissons, qui reviennent frayer dans des habitats antérieurs de leur espèce, de celui des enfants, qui adorent répéter certains jeux à l'identique ou entendre plusieurs fois la même histoire, ou de celui des patients, qui répètent dans leur cure les traumatismes antérieurs (transfert).
Les pulsions organiques donnent l'impression de forces qui tendent vers le progrès, alors qu'elles ne font que chercher à atteindre un but ancien par des voies renouvelées. Si tout être vivant meurt pour des raisons non circonstancielles, mais internes, alors on peut dire que ce but est la mort.

 

Conception psychoneurologique actuelle

Cette nouvelle approche du phénomène a été introduite dès 2004 par Jacques Roques dans son premier ouvrage sur l’EMDR . Il en donne deux acceptions :
La première est très proche de la notion d’empreinte développée par Konrad Lorenz. Ainsi par exemple une personne peut tomber amoureuse d’un même type d’individu, même si cela lui est nuisible, parce qu'il correspond pour elle à un modèle enregistré durant l’enfance de bon mari.
La deuxième est afférente à la psychotraumatologie et s’appuie davantage sur des hypothèses psychoneurologiques. Selon Jacques Roques le cerveau est soumis à deux impératifs : assurer la survie de l’individu – c'est le rôle notamment de l’amygdale (cf. les 2 circuits de la peur de Joseph Ledoux) – classer en mémoire à long terme les informations sensorielles diurnes. La première fonction qui dépend du système orthosympathique met en route notamment la motricité dans un but défensif, la deuxième du système parasympathique se rencontre entre autres au cours de la détente, du sommeil, de la digestion, et du travail de mise en mémoire à long terme. Ce dernier advient donc à un moment de relâchement. Or en cas de choc l’événement traumatique est en attente de retraitement. Dès qu’il se présente à nouveau pour être retraité, il génère aussitôt une réaction des centres de la peur et l’organisme se retrouve en sympathicotonie avec réactivation du comportement traumatique (sidération et éventuellement comportements d’évitement). Le retraitement est interrompu et la même tentative d’inscription mnésique va recommencer.
Ces deux modèles permettent bien de rendre compte de la compulsion de répétition et principalement des divers phénomènes qui accompagnent les ESPT (Etats de Stress Post Traumatique), comme les flashbacks, les pensées intrusives et naturellement la dite compulsion de répétition de comportements souvent nuisibles, développés par la victime en tant que mécanismes de défense.
Il est à noter que les conceptions de Freud peuvent très bien être associées à celles formulées par Jacques Roques dans le cadre d’une reformulation neuropsychanalytique des phénomènes psychiques.

Implications cliniques et théoriques de la compulsion découlant du "principe de répétition"

D'un point de vue psychanalytique si la compulsion de répétition peut-être envisagée sous un angle "négatif", c'est-à-dire comme une résistance au service du masochisme, de la pulsion de mort ou de la pulsion de destruction. Cependant, il doit aussi vu comme ce qui fonde les chances d'une cure psychanalytique de permettre à l'analysant de découvrir de nouvelles défenses psychiques plus économiques et plus adaptées. Le patient sur le divan "répète" des rêves (de souffrance), des attitudes (masochistes ou destructrices), en un mot une manière d'être en relation, mais il le fait aussi en espérant que l'analyse le mènera vers d'autres voies. On pourrait aller jusqu'à dire que c'est parce qu'il "répète" dans un cadre différent (neutre et bienveillant) que la cure peut avoir lieu. En ce sens, la "compulsion de répétition" découlant du "principe de répétition" est un des fondements majeur de la cure. Elle se déploie dans le transfert puis se modifie par son analyse et sa perlaboration, c'est alors qu'elle peut être dépassée. Cette espérance, plus ou moins consciente et/ou inconsciente est à la base de toute demande d'analyse, quelle que soit la manière dont elle s'exprime. C'est un appel à du nouveau, à de la croissance, etc. Leon Grinberg illustre ceci en écrivant : "Nul doute que l'individu fait beaucoup inconsciemment, pour se forger son propre destin. Freud se référa, en ce sens, à un mécanisme important, qui est celui de la compulsion à la répétition. On tend à reproduire, dans différents scénarios et à plusieurs occasions, le même type de conflit qui correspond aux moules primitifs des premiers conflits infantiles. Il en va ainsi par exemple de ceux qui se plaignent que l'amitié s'achève toujours avec la trahison de l'ami, ou les mécènes qui souffrent toujours de l'ingratitude de leurs protégés, ou les amants dont les rapports se terminent toujours de la même façon . Il poursuit: Parmi les facteurs qui sont à l'origine de la compulsion de répétition, on trouve les situations d'angoisse qui proviennent de nos toutes premières expériences. Il s'agit d'angoisse persécutrices et dépressives (cf. Mélanie Klein "Position schizo-paranoïde et position dépressive), et de sentiments de culpabilité qui nous obligent à répéter encore et toujours une certaine conduite envers nous-mêmes et les autres pour nous défendre contre ces dangers fantasmés au début de la vie. Evidemment on est tenté de l'attribuer à la "malchance" ou au destin, ou encore à l'enregistrer comme une expérience superstitieuse, sans pouvoir percevoir ni comprendre le degré de sa propre participation active - si inconsciente soit-elle - dans l'enchaînement des événements de la situation".
D'un point de vue psychoneurologique la compréhension du phénomène étant différente le mode de prise en charge l'est également, ainsi que les résultats cliniques obtenus.

Implications cliniques et théoriques de la compulsion découlant de l'approche psychoneurologique"

La conception psychoneurologique de la compulsion de répétition change par contre complètement la prise en charge psychothérapeutique des victimes. Voir à ce sujet les articles sur l’EMDR (chapitre sur l’efficacité de la thérapie), le syndrome de stress post-traumatique, le traumatisme psychique.

 ____________________________________________________

 

Répétitions et recyclages : de la compulsion au culte dans Serial Mom de John Waters


Introduction
En 1994, John Waters, le cinéaste dit camp[1] et surnommé « the King of Trash », réalisateur de Multiple Maniacs (1970), Pink Flamingos (1972), Female Trouble (1974), Desesperate Living (1977), sans oublier Cry Baby (1990),[2] s’attaque au thème a priori sérieux du tueur en série et offre au spectateur cette comédie noire nommée Serial Mom. Depuis l’affirmation du serial killer cinématographique au tournant des années 1980,[3] le personnage de Beverly Sutphin (alias Serial Mom, interprétée par Kathleen Turner) représente, avec Zoe Kohles dans The Third Deadly Sin (1981), un des rares avatars féminins du genre et sans doute sa première figure comique. Plus encore, ce film de John Waters, comme tous les autres d’ailleurs (depuis Pink Flamingos au moins), manifeste de diverses manières une conscience aiguë de son statut anticipé de film culte. En effet, le culte autour de John Waters (et de son défunt acteur fétiche « Divine ») ne se dément pas, comme en témoignent les nombreux sites Internet qui lui sont consacrés,[4] et rejaillit sur chacun de ses nouveaux films, si bien que ceux-ci semblent intégrer, à même leur production, la spécificité culte de leur réception. C’est précisément le passage d’une compulsion plus proprement diégétique et prosopographique (la compulsion de répétition de Serial Mom) à une activité plus proprement herméneutique (le recyclage intertextuel et la répétition « cultiste ») que je me propose d’observer. Entre-temps, c’est-à-dire entre les dimensions psychologique et herméneutique, l’analyse devra en passer par les aspects narratifs et sociaux qui, de cyclicités temporelles en recyclages idéologiques, semblent faire le pont entre répétition personnelle et répétition collective, entre compulsion et culte. Au fil de l’étude des phénomènes parents de répétition et de recyclage (sous toutes leurs formes) dans le long métrage de Waters, la question maîtresse demeure : qu’est-ce qui, outre la réputation de son réalisateur, fait de Serial Mom un film culte ?

I) Serial Mom « en analyse »

« Is your wife mental ? », demande le détective Gracey à Eugene Sutphin, prononçant ce qui allait devenir une des deux répliques cultes du film. De toute évidence, Beverly Sutphin est pour le moins psychologiquement troublée et ce n’est pas, comme veut le croire son mari, la ménopause qui lui fait commettre des meurtres à répétition. Le personnage de Serial Mom agit comme foyer textuel de mécanismes psychopathologiques complexes que l’analyse (aux sens littéraire et psychanalytique), devrait pouvoir dégager, au prix d’un détour par la théorie freudienne.D’entrée de jeu, le meurtre en série apparaît comme une forme de compulsion de répétition. Commettre plusieurs meurtres, c’est répéter l’action de tuer. Certes, chaque nouvel assassinat demeure, à certains égards, différent du précédent. Dans le cas de Serial Mom, l’arme du crime change : une voiture, un tisonnier, un couteau, etc. Or, comme le dit Gérard Genette, toute répétition « est en fait une construction de l’esprit, qui élimine de chaque occurrence tout ce qui lui appartient en propre pour n’en conserver que ce qu’elle partage avec toutes les autres de la même classe [...] ».[5] Ainsi considérée, une série de meurtres apparaît bien comme une forme de répétition.[6]
Dans son essai intitulé « Au-delà du principe de plaisir »,[7] Freud impute d’abord la compulsion de répétition aux « instincts du ‘moi’ », qu’il assimilera bientôt aux instincts de mort. Un tel instinct « ne serait que l’expression d’une tendance inhérente à tout organisme vivant et qui le pousse à reproduire, à rétablir un état antérieur auquel il avait été obligé de renoncer, sous l’influence de forces perturbatrices extérieures [...] ».[8] Poussée à l’extrême, cette tendance induirait une régression à l’inanimé, qui est l’état antérieur de tout organisme vivant. Ainsi, d’un point de vue psychanalytique, la tendance à la répétition aurait pour fonction (inconsciente) de conserver, et au besoin de rétablir, un état donné et « préhistorique » du moi.
Dans le cas de Serial Mom, il s’agit bien plutôt, par la répétition, de conserver un nous qu’un moi ; ou plus exactement, ici, moi, c’est nous. En l’occurrence, c’est la famille, dont les membres semblent, dans l’esprit de Beverly Sutphin, aussi indifférenciés que des polypes, qui constitue l’organisme à conserver dans un état quasi mortifère, c’est-à-dire sinon régressif, du moins stagnant. La compulsion de répétition devient ainsi instinct de conservation de la « cellule familiale ». De fait, chaque meurtre qu’accomplit froidement et résolument Serial Mom[9] vise à protéger sa famille, à rétablir un « équilibre » menacé par une perturbation extérieure. Ainsi, le meurtre de Mr Stubbins, le professeur de mathématique de son fils Chip, a-t-il pour but de rétablir l’illusion que ce dernier est un bon garçon (« He’s a good boy »). De même, par le meurtre de Carl Pageant, le jeune homme qui a brisé le cœur de Misty, Serial Mom entend restaurer le bonheur familial perdu. Enfin, elle élimine Ralph Sterner (et « accessoirement » sa femme) parce qu’il dérange son dentiste de mari dans ses moments de tranquillité familiale. L’instabilité psychologique de Beverly n’a d’égal que la stabilité familiale qu’elle défend bec et ongles ; en cela, Serial Mom marque, de façon plus que thématique, son affiliation au genre du serial killer film qui, comme le souligne Philip L. Simpson dans son ouvrage Psycho Paths, « exhibits this ambivalence toward stability and instability ».[10]
Le glissement du moi vers le nous donne droit de cité aux instincts de vie aux côtés des instincts de mort. La famille subsume l’individu et les instincts de celui-ci sont au service de celle-là. En devenant « tueuse en série », Beverly, qui risque la prison et la peine de mort, se « sacrifie » au profit de la cellule familiale. En conséquence, autant il importe de conserver la famille dans un état mortifié, autant cette conservation, à long terme, passe par la reproduction des individus. Concrètement, le soir suivant son premier meurtre (celui du professeur de mathématique), Beverly manifeste un appétit sexuel démesuré qui donne lieu à une scène comique dans laquelle l’époux trouve sa femme bizarrement « hot » (c’est son mot), les enfants semblant plutôt dégoûtés d’entendre leur mère jouir à tue-tête. Au moment des préliminaires, elle lance une phrase significative à son mari, qui trahit ses instincts de vie : « We have to concentrate on life, Eugene. » Ainsi, Serial Mom bataille-t-elle sur deux fronts : d’une part, elle libère ses instincts de mort pour conserver la famille (conçue comme une sorte de moi élargi) dans un état inchangé et mortifié ; d’autre part, elle libère ses instincts de vie pour maintenir la survie de « l’espèce Sutphin ». Il s’agit ici de l’ambivalence de la répétition telle que l’a déjà remarquée Herbert Blau : « As Blau elucidates, repetition encapsulates a kind of death in life, or a cyclically regressive motion without hope of saving tangents or new influences. »[11] Dans Serial Mom, répétition meurtrière et reproduction sexuelle s’allient dans une lutte contre les influences exogènes qui sans cesse menacent de détruire ou d’infiltrer la cellule familiale.

II) Une narrativité emballée

La « maladie mentale » de Beverly Sutphin, qui se traduit en première instance par une compulsion de répétition meurtrière, semble pourvoir le récit filmique d’une narrativité particulière. Déjà, l’hypersensibilité de Serial Mom aux perturbations extérieures représente un formidable « moteur » narratif. En effet, le moindre élément actantiel extérieur à la famille peut embrayer une séquence narrative et le retour de la perturbation finit par construire une série de séquences. La toute première séquence du film forme un bon exemple d’un tel procédé narratif. La famille Sutphin déjeune dans un bonheur familial banlieusard « parfait ». On sourit, on communique, le père feuilletant son journal, la mère préparant le petit déjeuner. Soudain, une mouche commence à tourner autour de la table : elle se pose sur la nourriture, sur la tasse de café, virevolte, revient et ainsi de suite. Beverly, qui n’écoute déjà plus la conversation en cours qu’à moitié, ne peut souffrir pareille intrusion animale (malpropre par surcroît) au sein du noyau familial. Très sérieuse, très agacée, même irritée, elle va chercher le tue-mouche, traque l’insecte, l’écrase finalement d’un coup violent sur la table, au milieu du petit déjeuner. Il reste une traînée de sang que les enfants regardent avec dégoût et que le père observe avec perplexité. Équilibre - perturbation - retour à l’équilibre : voilà une séquence narrative complète construite à partir d’un élément perturbateur infime. Le ton est donné : la mère de famille n’est pas très saine d’esprit et cette condition psychique représente une source intarissable de narrativité. À tout prendre, l’ensemble du récit de Serial Mom repose sur la grande générativité narrative des compulsions du personnage de Beverly Sutphin.
Or, une telle narrativité engendrée par répétition ne peut, au final, que tourner à vide. Il n’y a guère de progression narrative, mais bien une série de régressions narratives dont chacune se déroule à l’échelle de la séquence filmique. Certes, Serial Mom conserve le squelette du récit linéaire et progressif : bonheur familial, dérèglement psychique de la mère, série de meurtres, arrestation et procès, acquittement et retour présumé au bonheur familial. Cependant, le dernier meurtre de Serial Mom, commis à la sortie du tribunal, vient grever le dénouement (sombre happy end) et relancer l’infatigable mécanique narrative. De facto, rien n’a changé, Beverly est aussi folle que lors de son premier « meurtre » (celui de la mouche) ; la tuerie à répétition, peut-on légitimement penser, va se poursuivre, encore et encore. La machine narrative est littéralement emballée et la temporalité qu’elle sous-tend, circulaire. Waters pousse ainsi à l’extrême le schéma, surexploité dans le cinéma hollywoodien, du rebondissement, qui à la fois propose une résolution temporaire et repousse sans cesse le véritable dénouement. Il marque aussi son rattachement à Henry : Portrait of a Serial Killer, un film qui, selon Richard Dyer (cité par Simpson) « opens up the spectre of endlessness, forever trapped by the compulsion of serial watching, engulfed in repetition without end or point ».[12] Le renvoi intertextuel dont Henry est l’objet dans le film de John Waters dépasse ainsi la seule thématique du tueur en série et suggère une organisation narrativo-temporelle semblable.La circularité du récit, on l’aura deviné, répond au désir inconscient de Serial Mom de rétablir sans cesse l’« état initial » de sa famille. Beverly Sutphin arrive ainsi à empêcher non seulement la perturbation de la cellule familiale, mais encore l’évolution même du récit ! Sorte de transposition filmique de la compulsion de répétition, la circularité, ou cyclicité, me semble d’ailleurs mise en abyme dans deux crises obsessionnelles de la mère de famille. D’abord, la fameuse manie du recyclage : Beverly est prête à tuer sa voisine, Rosemary Ackerman, parce qu’elle ne recycle pas. À première vue, il ne s’agit là que d’une manifestation de l’amour de l’environnement et des animaux qui anime Beverly. Mais implicitement, ne serait-ce pas plutôt la dimension par définition cyclique du recyclage qui séduit le personnage ? L’objet recyclé retourne à un état de fonctionnalité antérieur, alors que l’objet vidangé amorce une progression dégénérescente. Dans le même ordre d’idées, Serial Mom assassine cruellement Mrs Jenson car elle omet de rembobiner les cassettes vidéo qu’elle loue au club où Chip travaille. Comment expliquer une réaction si démesurée sinon par la nature même de la faute ? Ne pas rembobiner la cassette, c’est refuser au film son retour à l’état initial et à l’incipit, littéralement. Dans les deux cas, la « mère en série » lutte pour la circularité sous toutes ses formes, pour la répétition et pour « l’éternel retour du même ».[13] Il s’agit là du reste d’une caractéristique du film culte qui emprisonne l’espace et le temps dans une sphère fictionnelle. Répétitions et mises en abyme viennent ici refermer le film sur lui-même et boucler une temporalité circulaire, sans véritable début ni fin. On verra plus loin comment ce processus lié au culte se trouve appuyé par les formes intertextuelles du « recyclage ». Mais avant d’affirmer avec peut-être un peu trop d’empressement la dimension irrémédiablement close et circulaire de Serial Mom, il importe de prendre en compte ce qui a priori ressemble à la portée sociale du film de John Waters et qui contredirait cette affirmation précoce.

III) Une critique sociale ?

Quand John Waters dit : « Je hais les films à message et je m’enorgueillis de ce que mes films n’ont aucune valeur sociale »[14], faut-il le croire sur parole ?
Déjà, la mise en scène d’un serial killer féminin semble lourde de conséquences idéologiques. Selon Simpson, ce type de « héros » est considéré comme un symbole foncièrement patriarcal et antiféministe : « One predominant school of thought, specific to the 1970s and 1980s, to explain the appeal of fictionalized serial murder has it that patriarchal society, particularly that of the United States, promotes individual masculine terrorism against female victims, even in its fiction. »[15] Dominant sexuellement et physiquement la femme, qui est sa victime de prédilection, le personnage du serial killer reconduirait la hiérarchie des genres qui organise la société américaine en lui donnant une forme dangereusement extrême, concrète et ignoble. Aussi serait-il devenu, parallèlement, une espèce de croque-mitaine brandi par les tenants du New Right pour illustrer « the pernicious effect of the supposed decay of traditional values during the 1980s ».[16] Or, le personnage de Serial Mom renverse à la fois l’argument féministe et l’argument réactionnaire. D’abord, il s’agit d’un personnage féminin qui tue indistinctement femmes et hommes et dont la famille semble régie par un ordre matriarcal (son mari, Eugene, paraît effacé et même bonasse). Ensuite, Beverly ne semble pas crédible dans le rôle du croque-mitaine illustrant la perte des valeurs traditionnelles, car ne représente-t-elle pas la défenseuse la plus acharnée des traditions ? Décidément, il faut admettre que le film de John Waters n’utilise pas le serial killer fictif à des fins militantes connues.
Or, ne suggère-t-il pas, grâce à la négative, une critique des valeurs de la domesticité et du conservatisme ? On sait combien Waters met l’emphase sur l’ancrage domestique de Serial Mom et de sa famille nucléaire stéréotypée. Le début du film, par exemple, semble pasticher la comédie de situation ou le home movie. Dans le premier plan, la caméra descend du ciel bleu vers la maison de banlieue bien proprette des Sutphin et le début de la première séquence baigne dans une ambiance familiale mielleuse : le père complimente sa fille sur sa robe, la musique est douce et gaie, etc. Très attachée au foyer, Beverly ne tue qu’avec des objets domestiques : couteau de cuisine, pièce de viande, tisonnier, téléphone et voiture familiale ! En traçant un portrait comique, voire ironique de la domesticité des banlieues américaines qui, sous une patine bien lisse et parfaite, dissimule une violence et une grossièreté latentes,[17] John Waters ne tend-il pas à la critiquer et, partant, à la transgresser ?[18]
De même, s’il serait vain de tenter de faire de Serial Mom l’illustration par la négative d’un progressisme néfaste, ne pourrait-on pas néanmoins voir en elle la représentation exemplaire de son contraire absolu, soit d’un conservatisme extrémiste, légaliste et dangereux ? Comme nous l’évoquions précédemment, l’héroïne du film de John Waters reste une conservatrice exemplaire : elle tient aux lois et aux traditions comme à la prunelle de ses yeux. À Scotty, un ami de Chip qu’elle finira par tuer, elle répète : « Wear your seat belt ! It’s a law ! » En fait, la seule loi qu’elle ne respecte pas, c’est celle qui interdit de tuer ses semblables ! Le dernier meurtre qu’elle commet, au palais de justice, montre son attachement aux règles et aux valeurs traditionnelles, fussent-elles désuètes :
BEVERLY - You can’t wear white shoes after Labour Day.
LA JURÉE - That’s not true anymore.
-  Yes, it is. Didn’t your mother ever tell you ? [Elle frappe la jurée avec le combiné du téléphone.] Now you know.
-  No, please. Fashion has changed.
-  No, it hasn’t.
Ce dialogue rend explicite l’aversion de Beverly envers tout changement. Que la pauvre jurée consacre ses ultima verba à tenter d’expliquer à Serial Mom que la mode a changé, voilà qui ne peut qu’accroître le désir de son bourreau de rétablir la tradition que sa mère lui a apprise. Car, on le voit bien, le conservatisme social de Beverly est inséparable de ses instincts de conservation d’ordre psychologique. Aussi bien la compulsion de répétition du personnage a des incidences narratives (grande générativité du récit et cyclicité), aussi bien elle a des incidences idéologiques : conservatisme, traditionalisme et légalisme. À la rigueur, Serial Mom apparaît même comme un avatar du serial killer vengeur et conservateur dont parle Simpson : « A fifth face of the serial killer is that of the demonic messenger and punisher, both of transgressive individuals and civilizations. This guise is potentially the most conservative or socially minded in its intolerance of deviance from traditional norms and values. »[19] Ce portrait du serial killer en conservateur sied assez bien à Serial Mom. Mais, bien sûr, John Waters marque son héroïne au coin de l’absurde et du grotesque, si bien que son film peut sembler vouloir critiquer ironiquement le conservatisme irraisonné d’une certaine classe moyenne américaine réfractaire à tout changement.[20]
Certes, les valeurs en question (domesticité, conservatisme) sont présentées dans le film, portées par des personnages, et tournées en ridicule. Mais, tout bien pesé, elles semblent davantage recyclées que vertement critiquées. Dans Serial Mom, ces valeurs acquièrent grosso modo le même statut qu’un film cité ou évoqué. D’aucuns pourraient les appeler des « intertextes idéologiques », à condition d’insister sur l’aspect textuel de cette intertextualité. Waters recycle les idéologies et les valeurs qui font déjà partie du discours social, qui font déjà texte, et non à titre de réalités extratextuelles empiriques. Ainsi, le personnage d’Eugene Sutphin, qui se prononce d’abord plusieurs fois en faveur de la peine capitale, change-t-il son fusil d’épaule lorsque sa femme risque d’en faire les frais ; entre-temps, John Waters n’a exprimé aucune opinion sur le sujet.[21] L’idéologie est avant tout ancilla narrationis : elle est recyclée et engagée pour servir le récit et son comique intrinsèque. De ce point de vue, il semble en définitive qu’il n’était pas abusif de parler du film comme d’un système en vase clos, d’emblée et toujours dans le monde du texte et de la fiction.

IV) Recyclages génériques et intertextuels

Ainsi, le recyclage des idéologies semble s’opérer sur le mode du recyclage plus proprement textuel, filmique. Dans son article consacré à John Waters, Daniel Mudie Cunningham évoque l’importance de ce type de recyclage en soulignant la grande culture cinématographique du cinéaste : « Waters’ films always reflect his extensive and obsessive knowledge of film, and they are often heavily influenced by diverse range of film culture sources. »[22] Ce que nous appelons ici « recyclage générique et intertextuel », en référence à l’obsession du recyclage de Beverly et à la cyclicité narrative, Umberto Eco l’appellerait « collage ».[23] Quelle que soit la terminologie choisie, il s’agit bien d’un procédé qui, sans être exclusif aux films cultes, y tient un rôle privilégié, y prenant une forme exacerbée, à l’image de cette vérité de toute cinématographie : « cinema comes from cinema ».[24]
D’un point de vue général, ce sont les genres télévisuels et surtout cinématographiques (parfois issus de la littérature) qui sont réactualisés et réorganisés par John Waters dans Serial Mom. En adoptant une posture taxinomique, on classerait sans mal ce film de serial killer de banlieue dans la comédie noire. Cependant, rien n’aurait encore été dit de ce formidable enchevêtrement intergénérique qu’est Serial Mom. Mention a déjà été faite des genres de la comédie de situation et du home movie, dont les schémas affleurent dans des topoï comme la famille, la maison et la domesticité. Par ailleurs, le procès de Beverly donne soudainement au film des allures de mélodrame : la tueuse en série porte alors le masque grimaçant de la pauvre mère de famille accusée de crimes odieux qu’elle n’a pas commis, ou qu’elle n’a commis que pour le plus grand bien de la famille.
Waters procède à un couplage « contre-nature » des genres du home movie et du mélodrame avec certains genres plus « colorés », cela dit sans jugement de valeur. En effet, sur le mur extérieur du club vidéo où Chip travaille, trois genres sont inscrits en grosses lettres : « Horror, action, comedy ». Ne s’agit-il pas là d’un métadiscours du film sur ses propres affiliations génériques ? Il n’est guère besoin de prouver la composante comique et corrosive du film de Waters : l’humour grinçant constitue un de ses principaux ressorts (ce qui, encore là, n’est pas étranger au cultisme). En outre, Serial Mom se rapproche particulièrement du film d’action par ses scènes de poursuite. Le film compte en effet quelques poursuites pédestres et surtout automobiles, avec leur lot de manœuvres risquées, d’étincelles, de sirènes policières, de suspens et d’excitation. Enfin - et c’est là un recyclage générique de première importance -, Serial Mom révèle une conscience profonde de son appartenance au genre du film d’horreur,[25] ne fût-ce que par son titre et sa thématique.
À ce chapitre, le film tient un important métadiscours (dans les dialogues et sur les affiches de films qui tapissent la chambre de Chip, par exemple) sur le genre de l’horreur. Birdie, la petite amie de Chip, est très excitée à l’idée d’avoir une tueuse comme belle-mère : « This is so cool ! It’s just like a horror movie ! », lance-t-elle. Plus tard, elle dira à Beverly : « You’re bigger than Freddy and Jason now, only you’re a real person ! » Notons que Chip et Birdie sont de grands fans de films d’horreur. Beverly n’est d’ailleurs pas en reste, elle regarde parfois quelques séquences avec eux et semble les apprécier, demandant même à revoir telle scène particulièrement horrible. Les intertextes reliés au genre ne manquent pas. Outre Henry : Portrait of a Serial Killer, le film renvoie au gore movie (autre sous-genre du film d’horreur) Blood Feast, de Herschell Gordon Lewis, « the Citizen Kane of gore movies » selon Chip (et Waters).[26] Lorsque les policiers viennent pour la première fois enquêter chez les Sutphin, Birdie et Scotty amusent la galerie en comparant le meurtre du professeur de Chip à des films d’horreur bien connus, dont ils modifient les titres : « Nightmare on Calverton Court », lance Birdie, « The Maryland Teacher Massacre », renchérit Scotty. Encore là, les événements de la diégèse, sans prise sur le réel, se voient immédiatement rapportés à d’autres fictions cinématographiques. Les personnages n’habitent pas un monde possible, mais un univers déjà médiatisé, composé d’une « mosaïque de représentations ». Ils ne font que répéter des scènes déjà tournées et déjà vues.
En ce sens, les personnages de Serial Mom sont avant tout des spectateurs. Beverly ne tue pas véritablement, elle rejoue les films d’horreur qu’elle a vus. C’est pourquoi les spectateurs qui appartiennent à la même « communauté interprétative »[27] constituent ses alliés et ses adjuvants. Chip et Birdie, par exemple, connaissent les scénarii des films d’horreur par cœur et peuvent donc l’aider dans sa quête qui consiste à conserver impunément l’intégrité de sa famille et des traditions. En revanche, les autres types de spectateurs sont ses ennemis. Scotty ne supporte pas les films d’horreur car ils lui donnent la nausée : préférant le genre pornographique, il devient une proie de Serial Mom. Le professeur de mathématique reproche aux parents de Chip de le laisser regarder des films d’horreur ; il n’y connaît rien et en paiera le prix fort. De la même manière, les policiers qui enquêtent sur Serial Mom sont de piètres profilers ; il semble qu’ils ne possèdent pas la connaissance encyclopédique de l’horreur qui fait le bon profiler, lequel n’est après tout qu’un interprète, un herméneute, mieux : « a fictional commentary on the process of sign-reading itself ».[28] Chez Waters, les « groupes spectatoriels » déterminent le rôle actantiel des personnages. Le film met ainsi en scène le retournement propre au phénomène culte qui fait du spectateur un « acteur » de la culture populaire : « Audiences are no longer envisaged as passive consumers but as active producers of popular culture. »[29] Plus spécifiquement, le lecteur ou le spectateur en série (qui consomme une grande quantité de livres, d’émissions de télévision ou de films) et le tueur en série sont à l’image de Serial Mom. Serge Chazal a d’ailleurs déjà suggéré (sur un ton peut-être un peu moralisateur toutefois) une relation entre les deux figures : « Compulsion, frustration, répétition, fidélité (aux victimes, aux auteurs, aux genres...), lecteur sériel et tueur sériel ont sans doute en partage un certain nombre de comportements inquiétants. »[30] Ainsi, la compulsion de répétition meurtrière de Serial Mom paraît étroitement liée à une compulsion de répétition spectatorielle, presque cultiste (faut-il rappeler qu’elle demande à revoir une séquence filmique) ayant pour objet le film d’horreur. La cinématographie de John Waters intègre ainsi, dans une sorte de trame intertextuelle, une activité interprétative a priori extra-textuelle.
Il s’agit d’une autre façon d’« enfermer » Serial Mom dans un solipsisme spécifique au film culte, pour lequel il n’y a d’autre réalité que lui-même ainsi que les autres médiations auxquelles il se réfère abondamment. John Waters va jusqu’à présenter, dans son film, tout « vrai meurtre » et tout procès comme une fiction ou un spectacle, tout criminel comme un acteur ou une célébrité.[31] Le recyclage générique et intertextuel s’étend ici au genre du true crime,[32] qui est traité sur le même plan que la fiction d’horreur. Non seulement Serial Mom - qui double son rôle de spectatrice d’un rôle de lectrice active - dévore-t-elle des histoires de true crime (qu’elle cache sous son matelas), mais encore la compare-t-on, parallèlement aux Jason et autres Freddy (personnages fictifs), aux Ted Bundy et autres Charles Manson (personnages tristement historiques). Misty fait même l’économie de tout comparatif pour annoncer à son frère, sans détour : « Chip, our mother is Charles Manson ». Elle est Charles Manson, soit, mais seulement dans la mesure où celui-ci est une image, une icône, le symbole américain du serial killer et non plus une personne réelle. À ce propos, le plaidoyer du procureur au procès de Beverly fait référence à l’imaginaire collectif du serial killer (féminin) et rappelle, en évoquant le phénomène des cartes de collection,[33] que ces criminels ne sont plus que des images : « Here she is. Henrietta Lee Lucas, Joan Wayne Gacy. A new Face in the deck of serial killer trading cards. »
Le tueur en série, dans le film de Waters comme dans la société américaine, partage avec l’idole sportive et l’acteur hollywoodien le statut d’icône. « Like Female Trouble, écrit Cunningham, Serial Mom explores the often tenuous link between criminality and celebrity by satirizing serial killer who become media spectacles. »[34] De fait, Serial Mom devient très vite une célébrité. « Do you think I need a lawyer ? », demande Beverly à son fils, qui répond instantanément : « You need an agent ! » Au concert des Camel Lips où elle se rend pour tuer Scotty, la foule l’acclame plus que les rock stars qui performent sur scène. D’ailleurs, comme toute célébrité, le serial killer a besoin d’une scène où se produire : il s’agit, bien entendu, du tribunal. Lui-même grand cultiste des criminels, John Waters écrit à ce sujet : « Les procès sont les spectacles les plus divertissants d’Amérique [...]. »[35] Pour tout dire, le tribunal tient pour lui à la fois de la salle de concert, du théâtre et, surtout, de la cathédrale : « Assassins, pirates de l’air, kidnappeurs sont les saints de notre religion ; comme des fanatiques religieux, nous implorons des nouvelles du prochain miracle criminel et attendons anxieusement le jour où nous serons admis dans notre cathédrale à nous : le tribunal. »[36] C’est dire le véritable culte qu’on voue aux criminels, et en particulier à ceux de la pire espèce : les serial killers. Il n’est guère étonnant, dans cette optique, qu’un cinéaste comme John Waters, qui se sait culte et qui est conscient de créer des films cultes, choisisse de mettre en scène un tel personnage : entre culte du criminel et culte du film, il n’y a qu’un pas. C’est pourquoi, au reste, le tueur sériel engendre tout ce foisonnement médiatique, très largement visuel, qui déporte l’adoration cultiste du « tueur comme image » vers « l’image du tueur ». Parmi toutes les reconfigurations possibles du serial killer (true crime, cartes de collection, tee-shirts, romans, etc.), le film du genre « histoire vraie » domine.
« Let’s make a gore movie about Mom », propose Chip. Il ne s’agira sans doute pas d’un gore movie au sens le plus strict, mais on prépare en effet, dès le procès, un film inspiré de Serial Mom. « Suzanne Somers is interested in playing my mom », dit Chip avec contentement. La célèbre actrice joue son propre rôle dans Serial Mom : elle vient assister au procès pour bien étudier le personnage qu’elle entend incarner. Or, Waters installe un dispositif paratextuel qui mime le genre du true story et laisse croire au spectateur que, mutatis mutandis, le film annoncé pendant le procès est celui-là même qu’il vient de voir et qu’on a simplement, après réflexion, préféré Kathleen Turner à Suzanne Somers. Avant la première image du film, Waters place cette inscription : « This film is a true story » ; et après la dernière image, celle-ci : « Beverly Sutphin refused to cooperate with the making of this film ». En plus de parodier le true story, le paratexte noue définitivement la boucle : le début fait écho à la fin. Le film se replie parfaitement sur lui-même, pointe du doigt sa propre représentation ; tout n’est finalement que fiction et répétition. Le film que le spectateur vient de voir n’était que la reproduction d’une histoire « vraie » et la fin invite à une répétition du visionnement de cette répétition. La cyclicité irradie ainsi l’activité spectatorielle et herméneutique à l’échelle de l’ensemble du texte filmique. En incitant son spectateur à une « relecture » (second visionnement et réinterprétation), Serial Mom non seulement manifeste sa propre conscience de film culte, mais encore, en se fondant principalement sur la répétition, il tente de provoquer à son endroit les comportements cultistes. Ce qui ne l’empêche pas de conserver cette forme essentielle de distanciation qui désamorce le sérieux et la systématisation.
Conclusion
« Say one word to yourself thirty times - ‘meaning’, for example, or your name. It loses its definition, becomes abstract and absurd. It also becomes a religious tool : once it has lost its literal associations, it addresses the silence. »[37] Il existe un lien entre répétition et culte que Bruce F. Kawin aborde en parlant de l’aspect religieux et non référentiel (« it has lost its literal associations ») du mot répété.[38] Les cultistes répètent littéralement certaines répliques - parfois même toutes les répliques ! - de leurs films d’élection,[39] rejouent certaines scènes, parfois à l’occasion de projections de minuit, et surtout se repassent inlassablement les mêmes longs métrages et séries télévisuelles. L’originalité de Serial Mom repose sur le fait que le film incarne la répétition collective et cultiste (extradiégétique) dans une compulsion de répétition individuelle et prosopographique (intradiégétique). Il y a là une heureuse équivalence entre individualité et collectivité, personnage et spectateur, production et réception. À cet effet, le moi (Beverly) caractérise d’abord le nous (la famille Sutphin), les protagonistes sont avant tout des spectateurs et l’histoire produite se nourrit goulûment d’histoires reçues, ainsi de suite. Il semble bien que ce soit, en dernière analyse, cette équivalence qui fait de Serial Mom un film culte. Tout se passe comme si, très consciemment, John Waters avait programmé la réception culte de son film. En subordonnant les niveaux narratifs et idéologiques du texte aux lois de la répétition et du recyclage, en multipliant les réactualisations génériques et les références intertextuelles, en thématisant différentes activités cultistes à l’intérieur même de la diégèse (culte du film d’horreur et du tueur) et, enfin, en présentant le film comme sa propre répétition, le cinéaste donne forme à un univers dont l’espace est circulaire. Quant au temps, il reste cyclique, sorte de miroir qui renvoie au spectateur sa propre image : ses interprétations, son encyclopédie, ses admirations, ses désirs et ses compulsions. Le film et son public partagent alors une chambre de résonance, sélecte et coupée du monde, où le cinéma n’entend plus que les échos de sa propre voix.
Mahigan Lepage
FILMOGRAPHIE
Serial Mom de John Waters, prod. Savoy Pictures, États-Unis, 1994, 93 min.

[1] .- Voir par exemple SWEENEY (G.).- « The King of White Trash Culture : Elvis Presley and the Aesthetics of Excess », Matt Wray et Annalee Newitz (dir.), White Trash : Race and Class in America, New York et Londres : Routledge, 1997, p. 250-251 ; ou encore : CUNNINGHAM (D.M.).-« John Waters », Senses of Cinema, http://www.sensesofcinema.com/contents/directors/03/waters.html [page consultée le 2 novembre 2005], 2003, s. p.
[2] .- Ses derniers longs métrages s’intitulent Cecil B. Demented (2000) et A Dirty Shame (2004).
[3] .- Voir SIMPSON (P. L.).- Psycho Paths : Tracking the Serial Killer Throught Contemporary American Film and Fiction, Carbondale : Southern Illinois University Press, 2000, p. 14.
[4] .- Voir par exemple Dreamland News (d’après le nom de l’équipe de production initiale de John Waters) : www.dreamlandnews.com.
[5] .- GENETTE (G.).- « Discours du récit : essai de méthode », Figures III, Paris : Seuil, coll. « Poétique », 1972, p. 145.
[6] .- D’ailleurs, le tueur en série reproduit le plus souvent un pattern, qui fait en sorte que les meurtres se ressemblent et qui devient une véritable signature que le profiler doit pouvoir reconnaître. Dans le film Henry : Portrait of a Serial Killer (1986) de John McNaughton, qui est au demeurant l’objet d’un renvoi intertextuel dans Serial Mom, le personnage principal lutte consciemment contre la tentation du pattern. Il se refuse, par exemple, à tuer deux fois avec le même revolver.
[7] .- FREUD (S.).- « Au-delà du principe de plaisir », Essais de psychanalyse, Paris : Payot, coll. « Petite bibliothèque Payot », [1920] 1963, p. 7-81.
[8] .- Ibid., p. 46.
[9] .- À l’exception du tout dernier, mais, on le verra plus loin, il s’agit encore là de conservation.
[10] .- SIMPSON (P. L.), op. cit., p. 203.
[11] .- Ibid., p. 20-21.
[12] .- Ibid., p. 139.
[13] .- FREUD (S.), op. cit., p. 26.
[14] .- WATERS (J.).- Provocation (Shock Value), Paris : Clancier-Guénaud, [1981] 1984, p. 7.
[15] .- SIMPSON (P. L.), op. cit., p. x.
[16] .- Ibid., p. xii.
[17] .- Ainsi les appels téléphoniques obscènes que Beverly adresse à Dottie Hinkle dévoilent-ils une sorte de refoulé sexuel qui refait surface en excitant Serial Mom et choquant sa victime.
[18] .- Même si tel était le cas, il me semblerait imprudent de déduire, comme certains l’ont fait, que la transgression de la domesticité du cultisme implique une posture antiféministe : « The aesthetics of transgression that underpins so much cult movie fandom (as well as the personnel who create self-consciously ‘cult’ works) is often directly opposed to the values of domesticity that are not only associated with feminity but for which women have historically be presumed to been responsible. » (COLLECTIF.- « Introduction », in Defining Cult Movies : The Cultural Politics of Oppositional Taste, Manchester et New York : Manchester University Press, 2003, p. 3.)
[19] .- SIMPSON (P. L.), op. cit., p. 24.
[20] .- Une autre apparente critique de John Waters concerne l’idéologie environnementaliste qui accorde plus d’importance à la vie animale qu’à la vie humaine : Beverly nourrit une adoration maladive envers les oiseaux mais lit Hunting Humans pour s’endormir...
[21] .- J. Hoberman et Jonathan Rosenbaum hésitent d’ailleurs à faire de Waters un héraut de la « contre-culture » : « Waters’s paean to transgression seems directed nearly as much against its counterculture audience as against the proprieties of the bourgeoisie. » (HOBERMAN (J.) et ROSENBAUM (J.).- « John Waters Presents ‘The Filthiest People Alive’ », Midnight Movies, New York : Harper & Row, 1983, p. 152.) Violence, bestialité, inceste, meurtre : « Waters refuses to grant these acts any moral seriousness beyond their inherent sensationalism. » (idem.) Chaque fois qu’on tente d’enfermer la cinématographie de Waters dans une idéologie, elle en déborde.
[22] .- WATERS (J.), op. cit., s. p.
[23] .- Voir ECO (U.).- « Casablanca : Cult Movies and Intertextual Collage », Travels in Hyperreality, Londres : Harcourt Brace and Company, 1986, p. 197-211.
[24] . -Ibid., p. 199.
[25] .- L’auteur de Psycho Paths rappelle à juste titre que le film de serial killer représente en fait un sous-genre du film d’horreur : « [...] the fictionnal serial killer’s most appropriate genre home [...] is horror », op. cit., p. 9.
[26] .- Il n’y a, dans Serial Mom, qu’une seule scène qui, d’évidence imposée, appartient au genre gore : quand la meurtrière « arrache » le tisonnier du corps de Carl Pageant, il en sort un organe (sans doute un foie ou un rein) qui provoque un certain dégoût chez l’auteur même du crime.
[27] .- Pour reprendre l’expression proposée par Stanley Fish.
[28] .- SIMPSON (P. L.), op. cit., p. 74.
[29] .- HUNTER (I.Q.) et KAYE (H.).- « Introduction », Deborah Cartmell et al. (dir.), Trash Aesthetics : Popular Culture and its Audience, Londres et Chicago : Pluto Press, coll. « Film/Fiction », 1997, p. 1.
[30] .- CHAZAL (S.).- « Meurtre et sérialité : l’émergence du serial killer dans la culture médiatique américaine », Études littéraires, vol. 30, no 1, automne 1997, p. 72.
[31] .- L’imbrication du factuel et du fictionnel caractérisait déjà les récits de crimes de la Belle Époque : « si certains [de ces récits] se donnent pour vrais alors que d’autres revendiquent leur nature fictionnelle, tous tendent aussi à se chevaucher [...]. » : KALIFA (D.).- L’encre et le sang : récits de crimes et société à la Belle Époque, Paris : Fayard, 1995, p. 107.
[32] .- Traduit parfois par « histoires policières véridiques », ce genre se partage entre magazines et monographies et prend la forme de dossiers, d’études ou de biographies consacrés à des tueurs sériels (CHAZAL (S.), op. cit., p. 72s).
[33] .- À ce sujet, voir Serge Chazal (ibid., p. 76-77).
[34] .- CUNNINGHAM (D.M.), « John Waters », op. cit., s.p. Dédicacé à « Tex » Watson, un membre du clan Manson, Female Trouble (1974) se termine sur une scène d’électrocution confondue, dans l’esprit dégénéré de la condamnée (Divine), avec l’attribution d’un « Academy Award ».
[35] .- WATERS (J.).- Provocation, op. cit., p. 147.
[36] .- Ibid., p. 148.
[37] .- KAWIN (B.F.).- Telling It Again and Again : Repetition in Literature and Film, Ithaca et Londres : Cornell University Press, 1972, p. 30.
[38] .- Dans son ouvrage, Kawin sera souvent amené à conclure que la répétition dissout tout réalisme - à propos de L’année dernière à Marienbad d’Alain Resnais par exemple (ibid., p. 89).
[39] .- La réplique la plus populaire de Serial Mom, plus populaire encore que « Is your wife mental ? », appartient à Beverly elle-même qui, lorsque questionnée sur les meurtres du « Hillside Strangler » qu’Eugène voudrait voir mis à mort, répond : « We all have our bad days ». Voilà une réplique des plus comiques que les cultistes auront maintes fois répétée.

 Au-delà du principe de plaisir.
Dans ce texte,  Sigmund Freud nous parle d'une nouvelle topique permettant de justifier une nouvelle hypothèse issue de l'expérience clinique : la pulsion de mort qui s'exprime à travers la compulsion de répétition.
Le concept de la compulsion de répétition s’élabore à la constatation que chez des patients et même bien au-delà, certaines expériences négatives semblent se répéter inlassablement dans la vie de  ces personnes qui en souffrent. C'est ce « destin » en négatifs qui interroge Freud. Lorsque le patient peut retrouver le traumatisme et l'émotion qui lui est liée alors ce traumatisme  disparaît. Mais dans les faits, le patient ne se souvient pas consciemment de ce traumatisme et de cette émotion qui façonne pourtant sa vie à travers ses actes. À travers cette mise en acte le patient rejoue inconsciemment une situation de souffrance. La compulsion de répétition est un dynamisme psychique autonome différent du jeu du principe de plaisir et du principe de réalité. A ce jeu, principe de plaisir/principe de réalité va être substitué, par Freud, un nouveau concept : pulsions de vie, pulsion de mort.
Pour Freud, le psychisme à tendance naturellement à maintenir l'excitation le plus bas possible. Comment comprendre alors ses expériences cliniques liées aux névroses traumatiques apparues après la Grande guerre ou les patients sont assaillis chaque nuit de cauchemars qui leur font revivre leur épouvantable expérience. Le rêve réalisateur de désir semble échouer dans cette tâche. Nous sommes la au coeur de cet essai. Au-delà du désir de réaliser un plaisir à travers le rêve, c'est une autre dynamique inconsciente qui s'impose au-delà du principe de plaisir.
Le principe du plaisir est de tendre toujours vers une diminution de l’excitation. Pour Freud, la vie tend vers la mort car avant la vie il n'y avait rien, donc, le but de la pulsion est de retourner à l'état de mort. L'excitation la plus basse étant la mort …selon Freud. D'où la déduction : le principe de plaisir est au service des pulsions de mort…
« Ainsi une pulsion serait une poussée inhérente à l'organique doué et de vie en vue de la réinstauration d'un état antérieur que cet être doué de vie a dû abandonner sous l'influence de forces perturbatrices externes, elle serait une sorte d'élasticité organique ou si l'on veut, la manifestation de l'inertie dans la vie organique. »
Ce texte écrit en 1920 est audacieux et pose autant de questions et d'hypothèses qu’il ne répond rigoureusement au problème de la compulsion de répétition. À une époque où la génétique n'existe pas encore mais où la vision darwinienne du monde est omniprésente, les questionnements philosophiques et psychanalytiques de cette époque n'apportent aucune réponse aux questionnements cliniques que se pose Freud.
Nous savons que chez les psychanalystes la pulsion de mort n'est pas partagée par tous. Et pour cause, les hypothèses sont intimement liées à l'époque où ce texte a été écrit.
Néanmoins, j'ai apprécié et découvert la formidable intuition dont fait preuve Freud à travers ce texte pas toujours facile à lire. À déguster tranquillement.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire