mardi 31 mai 2011

Fantasmes originaires



Ana Vidovic interprète Asturias, d'Isaac Albeniz

En psychanalyse, on appelle fantasme originaire (urphantasien en allemand) des scénarios imaginaires, d'ordre inconscient, communs à tous les humains (d'après Freud ou Roheim). Les mythes, comme certains rêves, mettent en scène ces images archaïques, que les premières expériences de la cure analytique ont permis d'identifier comme essentielles en tant qu’organisatrices de la vie fantasmatique et comme indifférentes aux expériences personnelles de chacun.
L'origine des fantasmes originaires a fait l’objet d’un large débat qui opposa Freud à plusieurs de ses élèves. Parmi ceux-ci, Jung émit l’idée que les fantasmes originaires relevaient d’une tendance phylogénique : il s’agit, selon lui, d’archétypes, c’est-à-dire d’images composant l’inconscient collectif. Freud contestait la pertinence de cette notion : si les mythes, les rêves, peuvent exprimer symboliquement des fantasmes universels, les images elles-mêmes ne peuvent constituer un patrimoine héréditaire. Il faisait plutôt découler ces scènes imaginaires de l'expérience de scènes réelles survenues dans la prime enfance, et leur universalité du fait que ces scènes sont, selon lui, tôt ou tard pareillement vécues par tout un chacun.
La scène de séduction, élaborée par Sigmund Freud dans sa compréhension de l'hystérie, est l'explication imaginaire de l'origine de la sexualité.
Dans un premier temps, Freud vit l'origine de ce fantasme imaginaire dans la scène réelle d'un viol subi dans l'enfance, ce qui l'amena à considérer le viol comme très fréquent. Il revint plus tard sur la pertinence d'une telle conception. Sándor Ferenczi s'interrogera sur ce renoncement, pensant que cette scène peut bien, dans certains cas, avoir pour origine une expérience authentique.
Le fantasme de castration est un fantasme originaire (idée inconsciente commune à l'ensemble des humains) selon lequel tout individu est primitivement pourvu d'un pénis, la petite fille apparaissant alors comme ayant été castrée. La femme vit donc, inconsciemment, dans l'angoisse d'avoir été castrée et l'homme dans celle du risque d'être castré : tout le comportement féminin est motivé par le désir inconscient de récupérer le pénis perdu (qui se traduit dans le conscient par une volonté floue de combler un manque) ; celui de l'homme est, lui, motivé par le désir inconscient de préserver son membre viril (désir qui se traduit dans le conscient par une “lutte d'honneur” contre tout risque d'amputation de son intégrité).
Freud voit l'origine de ce fantasme dans un fait réel survenu dans la petite enfance : c'est en constatant la différence anatomique des sexes et en s'interrogeant sur l'origine de cette différence que l'enfant élabore le fanstame de castration, puis acquiert l'angoisse qui en découle.
La scène originaire (ou scène primitive) décrit un rapport sexuel entre les parents du sujet, que le sujet apercevrait en l'interprétant comme agression de la mère par le père.
La vie intra utérine est d'abord comprise comme paradis perdu. Ferenczi théorisera plusieurs stades de toute-puissance, dont celui de toute puissance réelle : la vie foetale.
Ce terme apparaît dans les écrits de Freud en 1915 : « Il est possible que tous les fantasmes que l’on rencontre dans l’analyse aient été jadis, aux temps originaires de la famille humaine, réalité et qu’en créant des fantasmes, l’enfant comble seulement, à l’aide de la vérité préhistorique, les lacunes de la vérité individuelle ». En psychanalyse, les fantasmes originaires sont ceux qui « décrivent » l’origine du sujet (fantasme de scène primitive), la différenciation sexuelle (fantasme de castration) et la vie sexuelle (fantasme de séduction).
Terme introduit par Freud en 1915, les fantasmes originaires sont donc des structures fantasmatiques transmises phylogénétiquement.

dimanche 29 mai 2011

Fantasme


Dans le sens courant, le fantasme est une fixation mentale ou une croyance irraisonnée pouvant, dans certains cas, conduire à des actes excessifs. Une forme atténuée, en principe moins dangereuse, est la lubie.
En français avant les découvertes de la psychanalyse deux mots existaient : phantasme, synonyme d'hallucinations, et fantaisie, qui signifiaient entre autres la capacité à imaginer. Les premiers traducteurs des textes de Sigmund Freud ont choisi de traduire le mot allemand « Phantasie » par un mélange de ces deux termes : fantasme.
Nancy Friday bouleverse l'Amérique en 1973 en lui faisant découvrir, dans « My secret garden », que les femmes elles aussi ont des fantasmes.
Pour les psychiatres et intervenants d'aujourd'hui, les fantasmes présentent un intérêt certain car ils dévoilent des désirs plus ou moins conscients. Selon les ouvrages et les auteurs que l'on consulte, les types de fantasmes et leur classification peuvent varier énormément, mais on distingue clairement deux types bien distincts.
Traduction de l'allemand « Phantasie » inventé par Sigmund Freud, compromis entre deux termes existants : « phantasme » (hallucination) et « fantaisie » (imagination débridée).
Le fantasme se comprend comme une élaboration dérivée de plusieurs éléments, mettant en jeu différentes pulsions inscrites dans l'histoire du sujet. Le fantasme est la formation de compromis, il élabore différents matériels, dont certains sont conscients et d'autres non. Mais certains fantasmes demeurent inconscients. Le fantasme peut témoigner d'une fixation de la sexualité à un stade psychosexuel, comme le stade oral ou le stade anal. De ce point de vue, il est résultat d'une régression.
La capacité à fantasmer signe une certaine normalité psychique : on peut soupçonner chez les patients psychosomatiques une défaillance de la fonction fantasmatique, repérée sous forme de pensée opératoire. Le fantasme permet ainsi une régulation psychique des désirs inconscients, nécessaire à la bonne santé mentale.
Chez Melanie Klein, l'ensemble de la vie psychique ne saurait être compris que comme fantasmatique. J. Laplanche et J.B. Pontalis  traitent longuement du fantasme et le définissent pour commencer comme un « scénario imaginaire où le sujet est présent et qui figure, de façon plus ou moins déformée par les processus défensifs, l'accomplissement d'un désir et, en dernier ressort, d'un désir inconscient ». Chez Jacques Lacan, « le fantasme est un montage grammatical où s'ordonne suivant divers renversements le destin de la pulsion, de telle sorte qu'il n'y a plus moyen de faire fonctionner le « je » dans sa relation au monde qu'à le faire passer par cette structure grammaticale ».
Il consiste dans la mise en relation d'un sujet et d'un objet par des métaphores évoquant le fonctionnement d'une pulsion. La fonction phallique est ce qui relie le « sujet marqué par le signifiant » ou « Sujet de l'inconscient » (« $ ») à l'objet du désir (« objet a »), lien noté par le poinçon « ◇ », pour constituer la chaîne du fantasme (notée « $ ◇ a ») où sujet et objet peuvent s'intervertir (« réversibilité du sujet et de l'objet dans le fantasme »). Le fantasme est le soutien du désir et l'étoffe de la Réalité psychique.
Chez Gregory Bateson, le fantasme est une activité ludique imaginaire d'un jeu théâtral où chacun est à la fois l'auteur, l'acteur et le metteur en scène. Le « passage à l'acte » est la réalisation matérielle d'un fantasme. Pour Henri Atlan, toute hypothèse scientifique vraiment nouvelle et novatrice est de l'ordre du délire ou du fantasme. C'est dans la mesure où ce délire, ou ce fantasme, accepte de se modifier, voire d'être abandonné dans des confrontations, qu'il s'en écarte.
Dans le domaine de la sexualité, le fantasme est un scénario érotique, imaginaire ou non, provoquant une pulsion ou une excitation sexuelle au point d'être assouvie mais pas nécessairement, du fait de l'auto-censure sociale ou religieuse. Dans un premier temps, on trouve le fantasme érotique. Ce type de fantasme permet d'obtenir de façon imaginaire certaines satisfactions difficiles à atteindre dans la réalité. Dans un second temps, l'autre type de fantasme est le fantasme sexuel, qui se veut l'expression tangible de cette sexualité.

Longtemps considérés comme tabous voire honteux, les fantasmes sont aujourd’hui bien mieux assumés par les femmes. Et pour cause : en plus de participer à l’équilibre psychique, ils alimentent le désir, intensifient le plaisir et sont le vecteur d’une sexualité épanouie. Panorama et décryptage des fantasmes les plus répandus.
 
Qu’est-ce que qu’un fantasme ? Un fantasme est donc une représentation imaginaire de désirs conscients ou inconscients. Les images, idées ou sentiments produits par l’esprit génèrent alors chez l’individu une émotion et une excitation, notamment sexuelle. Mais les fantasmes ne touchent pas que la sexualité, ils peuvent concerner différents domaines du désir et du plaisir. Le terme provient de l’allemand « phantasie », concept développé par Freud pour désigner l’imagination.
Qui fantasme ?
Tout le monde fantasme et ce, à tout âge, de façon consciente ou pas, explicite ou non. D’ailleurs, les femmes fantasment autant que les hommes. A la seule différence que ces derniers sont moins pudiques et en parlent donc plus facilement.
D’où viennent les fantasmes ?
Fantasmer est un phénomène fascinant, mais qui pourtant reste tout à fait naturel. C’est même un signe de bonne santé psychique. Cela découle le plus souvent d’un désir inconscient refoulé. Pour Freud, les fantasmes se construiraient au moment de l’adolescence, dès les premières masturbations, ou même durant l’enfance (vers l’âge de 6 ans).
A quoi servent-ils ?
Les fantasmes permettent à l’individu de se couper de ses problèmes quotidiens et de combler certaines imperfections du réel, auxquelles le Moi cherche à échapper grâce à l’imaginaire. C’est une sorte de compromis entre rêve et réalité, pulsions et interdits et qui conduisent sur les chemins de l’évasion. Fantasmer ne traduit pas pour autant une insatisfaction mais plutôt un exutoire qui permet de détourner les pressions sociales et morales souvent fortes.
Par ailleurs, les fantasmes sont de puissants aphrodisiaques. Psychiatres et sexologues s’accordent à définir deux types de fantasmes :  les « créatifs » qui ont pour but d’enrichir une relation sexuelle, de réveiller le désir ; et ceux  qui permettent de soulever des inhibitions et d’exprimer pleinement une sexualité.
Les fantasmes les plus répandus
Les « scénarios érotiques »  apparaissent soit durant la journée ou bien lors de l’acte sexuel et se forment en fonction de la personnalité de chacun. Parmi les plus évoqués, on note d’abord pour les femmes le désir de faire l’amour dans un lieu désertique et sauvage (plage, forêt…) ou en public (parking, ascenseur, sur le lieu de travail). Viennent ensuite les envies d’étreintes avec une personne en particulier (une célébrité, un parfait inconnu, un collègue ou ami). Certaines fantasment également sur un rapport sexuel agrémenté d’accessoires (attachées, les yeux bandés ou encore avec de la nourriture). Enfin, certains rêves érotiques sont davantage tournés vers une situation (avoir un rapport avec une autre femme, avec plusieurs partenaires, être la favorite d’un harem ou faire un strip-tease devant un parterre d’hommes).
Par contre, les fantasmes des messieurs sont nettement moins sages, souvent d’ordre sexuel (fellation, sodomie, exhibitionnisme, expériences échangistes ou avec deux femmes) et sont d’ailleurs plus fréquemment assouvis.
Les fantasmes qui dérangent
Soumission lors d’un rapport sexuel, scènes sadiques, voire viol… Il arrive parfois que certains fantasmes s’éloignent totalement des désirs conscients et correspondent plutôt à des situations redoutées. Certains spécialistes expliquent ce décalage comme des désirs inconscients déformés qui répondent à des processus défensifs. Toutefois, si ce genre de représentation devient perturbant, il peut être conseillé de l’approfondir à l’aide d’un psychothérapeute ou d’un psychanalyste.
Faut-il partager ses fantasmes ?
S’il est aisé de parler à son conjoint de son passé, de sa famille et de ses expériences, il n’est pas évident de dévoiler certains désirs inavoués souvent mal compris. Tout dépend de l’objectif à atteindre. S’ils peuvent pimenter le quotidien du couple et augmenter la complicité, certains peuvent être source de malaise, surtout si le partenaire ne les partage pas ou pire, s’il n’en fait partie ! Tout est une question de bon sens.
Faut-il passer à l’acte ?
Pour certains spécialistes, les fantasmes doivent rester du domaine de l’imaginaire pour stimuler la libido, au risque de perdre tout leur pouvoir et d’entraîner une déception. Pour d’autres, ils doivent être assouvis afin de soigner certaines inhibitions, pour palier à un manque d’envie et pour faciliter l’atteinte de l’orgasme. Votre instinct peut alors vous aider à trancher : à vous de voir si vous vous sentez vraiment prête à réaliser les scénarios érotiques que vous imaginez.

Qui fantasme ? Tout le monde et ce, à tout âge, de façon consciente ou pas, explicite ou non. D’ailleurs, les femmes fantasment autant que les hommes. A la seule différence que ces derniers sont moins pudiques et en parlent donc plus facilement.
Contrairement aux idées reçues, les femmes fantasment autant que les hommes. Une bonne nouvelle, puisque que ces images et scénarios libidogènes contribuent à une sexualité épanouie. Zoom sur les fantasmes féminins et leur sens caché.

Faire l'amour dans la nature
Sur la plage, dans la forêt, entre deux bottes de paille ou au milieu des herbes hautes, le câlin en pleine nature est un fantasme répandu dans l'imaginaire féminin. Une envie qui répond à un besoin de liberté, de sensualité ou qui rappelle un moment agréable vécu pendant les vacances par exemple.

> Faire l'amour avec un inconnu
Céder à un homme rencontré à l'instant, faire tomber toutes les barrières et s'abandonner au plaisir sans honte ni culpabilité : voilà ce que cache l'envie d'une étreinte torride et furtive avec un mystérieux inconnu.

> Faire l'amour dans un lieu insolite
Au resto, dans les cabines d'essayage, à l'arrière de la voiture dans un parking... Faire l'amour dans un lieu public, c'est un fantasme de femme banal. On prend le risque d'être surpris et la peur augmente l'excitation sexuelle. On cherche aussi à capter le regard des autres, peut-être a-ton manqué d'attention durant l'enfance.

D'après une enquête Ipsos Santé/Procter & Gamble sur le désir féminin, 96% des femmes fantasment. Petit tour d'horizon des principaux fantasmes des femmes recensés par le sexologue Sylvain dans son ouvrage "Ce que les femmes préfèrent".

 
> Faire l'amour avec une célébrité
George Clooney, Brad Pitt, Jude Law... tous sont de véritables fantasmes féminins. Beaucoup de femmes rêvent d'un corps à corps avec un sex symbol. Plus que leur physique très avantageux, c'est surtout les scènes de films très chaudes dans lesquelles on a pu les admirer qui suscitent le désir.

> Faire l'amour à plusieurs
Avoir plusieurs hommes à sa disposition, être le centre de toute leur attention, c'est le pied total ! Mais ce fantasme féminin révèle surtout un vide à combler au sein du couple, un manque de communication et d'intimité entre deux partenaires. L'invité sert alors de médiateur entre les deux amants.

 
> Faire l'amour avec une femme
Quand une femme fantasme de faire l'amour avec une autre femme, faut-il forcément y voir une homosexualité refoulée ? Absolument pas. Ce fantasme signifie simplement que l'on se sent bien avec le même sexe que soi, et que l'on a envie de douceur, de sensualité, de complicité.

> Le fantasme de l'uniforme
Pompier, pilote de ligne, policier... Ah, le prestige de l'uniforme et son potentiel ultra érotique ! Cest tenues évoquent le pouvoir, l'autorité, la domination.

> Un peu d'exotisme
Etre la favorite d'un harem, Faire l'amour au milieu de bêtes féroces ou bien dans l'Orient-Express : voilà des situations exotiques hautement libidogènes ! L'origine de ces fantasmes de femme ? Une envie d'évasion ou tout simplement un besoin de briser la routine sexuelle.

 Plusieurs, (sinon la plupart) des patients hystériques de S. Freud produisaient le récit d'entreprises de séduction dont ils auraient été l'objet, enfant, de la part de personnes de leur entourage. Tous les adultes n'étant pas pervers, Freud a put, après s y être d'abord trompé, développer l'idée selon laquelle le noyau du récit hystérique ne serait pas nécessairement, et ne serait pas généralement un vrai souvenir. Ces récits seraient plutôt l'œuvre d'une activité psychique: le sujet hystérique n'a pas été victime d'une agression, il traduit dans son imagerie fantasmatique le désir qu'il a eu, et dont il repousse l'aveu, d'être l'objet de cette agression.

Le concept de fantasme.

Il s'agit d'une production imaginaire qui s'apparente à la rêverie, c'est d'ailleurs par des termes voisins de ceux qu'il employait pour parler des rêves que Freud pose en 1897 le concept de fantasme: ce serait une activité psychique qui consiste en une construction imaginaire d'un scénario dramatique, véritable mise en scène des modes de satisfactions( généralement libidinales) tirées de l'expérience réelle personnelle. Ne voulant intégrer le fantasme ni dans la réalité extérieure(matérielle), ni dans la réalité de ce qu'il appelle "les pensées de transition et de liaisons", il élabore l'idée d'une réalité psychique, noyau irréductible du psychisme et registre des désirs inconscients, dont "le fantasme est l'expression dernière et la plus vraie". Ce serait là la partie de l'activité psychique indépendante du principe de réalité, et soumise au seul principe de plaisir. Il écrit à ce sujet que la satisfaction fantasmatique liée à l'objet sexuel serait immédiate et plus aisée à obtenir donc maintenue à la place de la satisfaction réelle lorsque celle-ci ne pourrait être atteinte.
Les fantasmes peuvent être simplement représentés mais ils peuvent être tout autant mis en acte dans la réalité ou projeté sur autrui. La modalité du plaisir attachée au fantasme n'est pas figurée sans voile, elle est déformée par des opérations défensives telles que le déni, le renversement en son contraire, le retournement en la personne propre, la projection, etc. Cela témoigne de l'interdit qui pèse sur la réalité du désir figuré, en même temps que du lien avec le conscient autant qu'avec l'inconscient, ce qui nous amène au deuxième point.

La localisation du fantasme

Contrairement au courant kleinien qui différencie fantasme conscient et fantasme inconscient, il n'existe pour Freud qu'un seul concept de fantasme dont certains sont conscients comme les rêves diurnes, les romans que se raconte le sujet à lui-même et certaines formes de créations littéraires, et d'autres inconscients qui correspondraient à des rêveries subliminales, préfigurations des symptômes hystériques, mais en liaisons étroites avec les fantasmes conscients.
Ces deux registres de l'activité fantasmatique se retrouvent dans le processus du rêve: le fantasme inconscient est à l'origine de la formation des rêves et le fantasme conscient participe au remaniement du contenu manifeste de ceux-ci. Cette dualité conscient-inconscient est caractérisée par la mobilité du fantasme: il est présenté comme lieu et moment de passage d'un registre de l'activité psychique à l'autre, et apparaît donc comme irréductible à un seul de ces registres, conscient ou inconscient.

fantasme originaires

Un grand nombre de fantasmes prennent leur source dans des épreuves ou des questionnements qui traversent tout homme: "L'observation du commerce amoureux des parents est une pièce rarement manquante dans le trésor des fantasmes inconscients que l'on peut découvrirvraisemblablement chez tous les enfants des hommes. Ces formations fantasmatiques, celle de l'observation du commerce sexuel des parents, celle de la séduction, celle de la castration, et d'autres, je les appelle fantasmes originaires". C'est par ces mots que Freud cherche à rendre compte de possibles fantasmes qui se retrouveraient en tout homme, une hypothèse phylogénétique commune à toute l'espèce humaine, empruntée à Ernst Heinrich Haeckel, pour laquelle Freud reprend plus ou moins la théorie de la séduction avec l'aide de celle du fantasme. Ces fantasmes originaires, reliquats des temps primitifs, seraient des organisateurs psychiques et auraient pour fonction de résoudre chacun une énigme qui se poserait naturellement à chaque homme. Le fantasme de castration, par exemple, intervient dans la découverte de la différence des sexes.

Le Travail de jacques Lacan

Dans la reprise du concept freudien de fantasme, Lacan souligne très tôt la modalité défensive du fantasme, lequel est assimilé à ce qu'il appelle un "arrêt sur image" empêchant le surgissement d'un épisode traumatisant, image figée, en défense par exemple contre la castration, mais n'appartenant pas strictement au registre de l'imaginaire comme le suggérait la perspective kleinienne. Au-delà de la diversité des fantasmes de chaque sujet, Lacan pose l'existence du fantasme fondamental, structure théorique commune à tous ces fantasmes, dont la traversée par le patient signe l'efficacité de l'analyse, matérialisée par un remaniement des défenses et une modification de son rapport à la jouissance.
Il développe dans ce sens une logique du fantasme dont il traduit le minimal des éléments en jeu avec "l'algorithme" S a. Il s'agit d'un coté du sujet de l'inconscient, barré parce que divisé(en tant qu'effet des signifiants), mais aussi, dans une accentuation propre au fantasme, vacillant et confronté à sa propre disparition. De l'autre coté: Le sujet, au-delà de sa disparition, se soutient d'un objet, le a( dans l'exemple souvent repris par Freud, "on bat un enfant", il s'agit de ce qui s'ajoute à la phrase même, la présence inéliminable du regard). Le " " traduit le rapport entre S et a, qui est tout sauf un rapport d'égalité. Ainsi, la structure de base du fantasme, S a, se retrouve dans tous les fantasmes, et peut subir des ajouts divers, expliquant la pluralité des fantasmes humains.
De par cette pluralité, de par sa localisation diffuse et son origine psychique, le concept de fantasme est très dur à expliquer, mais c'est toutefois une question centrale dans et pour l'analyse, car ce qui le compose détermine les enjeux de cette analyse.

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Masochisme
La représentation fantasmatique « un enfant est battu » est avouée avec une fréquence étonnante par des personnes qui ont demandé un traitement psychanalytique pour une hystérie ou une névrose obsessionnelle. Il est fort vraisemblable qu’elle se présente plus fréquemment encore chez d’autres personnes qui ne sont pas contraintes par une maladie manifeste à prendre cette décision.
A ce fantasme sont attachés des sentiments de plaisir à cause desquels il a été d’innombrables fois reproduit ou est encore toujours reproduit. Au paroxysme de la situation représentée survient presque régulièrement une satisfaction onanistique (donc au niveau des organes génitaux), d’abord avec le consentement de la personne mais aussi bien, par la suite, avec un caractère compulsionnel et contre son gré.
L’aveu de ce fantasme n’est consenti qu’avec hésitation, le souvenir de sa première apparition est incertain, une résistance sans équivoque s’oppose au traitement analytique de cet objet, honte et sentiment de culpabilité s’émeuvent â’ cette occasion peut-être avec plus de force que lors de communications semblables portant sur les premiers souvenirs de la vie sexuelle.
On peut finalement s’assurer que les premiers fantasmes de cette espèce ont été cultivés très tôt, certainement avant l’âge scolaire, dés la cinquième et la sixième année. Lorsque l’enfant a assisté à l’école â la fustigation d’autres enfants par le maître, cette expérience a réveillé ses fantasmes s’ils étaient endormis et les a renforcés s’ils étaient encore présents, tout en modifiant sensiblement leur contenu. A partir de là, c’est « un nombre indéterminé » d’enfants qui ont été battus. L’influence de l’école a été si claire que les patients concernés étaient d’abord tentés de rapporter leurs fantasmes de fustigation exclusivement à ces impressions de la période scolaire, après la sixième année. Mais cela ne tenait jamais; ils avaient déjà existé avant.
Que signifie le fantasme « un enfant battu » ?
Si la fustigation des enfants cessait dans les grandes classes, son influence trouvait plus qu’un simple substitut dans l’effet des lectures, qui prenaient bientôt de l’importance. Dans le milieu de mes patients c’étaient presque toujours les mêmes livres, accessibles à la jeunesse, dans le contenu desquels les fantasmes de fustigation allaient se chercher de nouvelles stimulations : la Bibliothèque dite rose, la Case de l’oncle Tom et ouvrages du même genre. En concurrence avec ces fictions, la propre activité fantasmatique de l’enfant commençait à inventer une profusion de situations et d’institutions dans lesquelles des enfants étaient battus, ou punis et châtiés d’une autre manière, parce qu’ils n’avaient pas été sages et qu’ils s’étaient mal conduits.
Comme la représentation fantasmatique «un enfant est battu » était régulièrement investie avec un intense plaisir et aboutissait à un acte procurant une satisfaction auto-érotique voluptueuse, on pouvait s’attendre à ce que le spectacle d’un enfant battu à l’école soit lui aussi la source d’une jouissance semblable. Mais ce n’était pas le cas. Le spectacle de scènes réelles de fustigation à l’école soulevait chez l’enfant qui y assistait un sentiment particulièrement aigu, vraisemblablement mêlé, dans lequel l’aversion avait une grande part. Dans quelques cas, l’expérience réelle de scènes de fustigation a été ressentie comme insupportable. Du reste, même dans les fantasmes plus raffinés des années suivantes était maintenue la condition que les enfants châtiés ne subissent aucun dommage sérieux.
On ne pouvait éviter de se demander quelle relation pouvait bien exister entre l’importance du fantasme de fustigation et le rôle que les châtiments corporels réels avaient joué dans l’éducation familiale de l’enfant. L’hypothèse qui se présentait la première, celle d’une relation inverse entre les deux phénomènes, fut impossible à prouver par suite du caractère unilatéral du matériel. Les personnes qui ont fourni la matière de ces analyses étaient rarement battues dans leur enfance et, en tout cas n’avaient pas été élevées à coups de trique. Naturellement, chacun de ces enfants avait pourtant eu l’occasion d’éprouver un jour ou l’autre la supériorité de la force physique de ses parents ou de ses éducateurs; il est inutile d’insister outre mesure sur les coups que les enfants eux-mêmes ne manquent pas d’échanger dans toute chambre d’enfants.
Sur ces fantasmes précoces et simples qui ne renvoyaient pas d’une manière patente à l’influence d’impressions scolaires ou de scènes tirées de la lecture, la recherche aurait bien voulu en apprendre davantage. Qui était l’enfant battu? L’auteur du fantasme lui-même ou un autre enfant? Etait-ce toujours le même enfant ou était-il indifférent que ce fût souvent un autre? Qui était-ce qui battait l’enfant? Un adulte? Mais qui, plus précisément?
A toutes ces questions ne faisait suite aucune solution éclairante, mais toujours uniquement la même réponse timide : Je n’en sais pas plus; un enfant est battu.
Les demandes concernant le sexe de l’enfant battu avaient plus de succès, mais sans nous aider à mieux comprendre. Maintes fois il était répondu : toujours uniquement des garçons; ou : uniquement des filles; plus fréquemment c’était : je n’en sais rien; ou : c’est indiffèrent. L’idée qu’eut le questionneur d’une relation constante entre le sexe de l’enfant auteur du fantasme et celui de l’enfant battu ne se concrétisa jamais. Une fois, il y eut encore un détail caractéristique du contenu du fantasme qui se montra: le petit enfant est battu sur son tutu tout nu.
D’après ce que nous savons actuellement, un tel fantasme, surgi dans la prime enfance peut-être dans des occasions fortuites et maintenu en vue de la satisfaction auto-érotique, ne peut être conçu que comme un trait primaire de perversion. Une des composantes de la fonction sexuelle aurait devancé les autres dans ce développement, se serait rendue précocement indépendante, se serait fixée et par là soustraite aux processus ultérieurs du développement, mais en donnant ainsi un témoignage de la constitution particulière et anormale de la personne.
Nous savons qu’une telle perversion infantile peut ne pas persister pour la vie, qu’elle peut encore succomber plus tard au refoulement, avoir pour substitut une formation réactionnelle ou être transformée par une sublimation. (Mais il se pourrait que la sublimation naisse d’un processus particulier entravé par le refoulement.) Mais quand ces processus font défaut, alors la perversion se maintient dans l’âge mûr, et lorsque nous trouvons chez l’adulte une aberration sexuelle - perversion, fétichisme, inversion - nous sommes en droit de nous attendre à découvrir par anamnèse un tel événement fixateur dans l’enfance.
Et bien avant la psychanalyse, des observateurs comme Binet ont pu rapporter les étranges aberrations sexuelles de la maturité à des impressions de ce genre, datant précisément de la cinquième ou sixième année de l’enfance. Assurément notre compréhension des perversions se heurtait là à une limite car les impressions fixatrices étaient dépourvues de toute force traumatique, elles étaient la plupart du temps banales et incapables d’émouvoir les autres individus; on ne pouvait pas dire pourquoi la tendance sexuelle s’était fixée précisément sur elles.
Mais on pouvait leur trouver une signification: elles avaient fourni aux composantes sexuelles ayant pris de l’avance et prêtes à s’élancer un point d’ancrage occasionnel, et l’on devait être préparé à l’idée que la chaîne de la liaison causale trouverait quelque part une fin provisoire. La constitution innée semblait justement correspondre à toutes les exigences d’un tel point d’arrêt.
La période de l’enfance qui se situe entre deux et quatre ou cinq ans est celle où les facteurs libidinaux innés sont pour la première fois éveillés par les expériences vécues et liés à certains complexes. Les fantasmes de fustigation dont nous traitons ici ne se manifestent qu’à la fin de cette période ou après qu’elle s’est écoulée. Il se pourrait donc qu’ils aient une préhistoire, qu’ils traversent un développement, et correspondent à un résultat terminal plutôt qu’à une manifestation initiale.
Cette présomption est confirmée par l’analyse. L’application conséquente de celle-ci enseigne que les fantasmes de fustigation ont un développement historique qui n’est pas du tout simple, et au cours duquel la plupart de leurs aspects sont plus d’une fois changés : leur relation à l’auteur du fantasme, leur objet, leur contenu et leur signification.
Pour suivre plus facilement ces transformations intervenant dans les fantasmes de fustigation, je me permettrai maintenant de restreindre mes descriptions aux personnes féminines, qui, au demeurant (quatre contre deux), constituent la majeure partie de mon matériel. Aux fantasmes de fustigation des hommes se rattache d’ailleurs un autre thème que je laisserai de côté dans cette communication. Ce faisant, je m’efforcerai de ne pas schématiser plus qu’il n’est inévitable lorsqu’on présente un état de fait moyen. Même si une observation ultérieure livre une plus grande variété de circonstances, je suis cependant bien convaincu d’avoir mis la main sur un phénomène typique et qui n’est assurément pas d’une espèce rare.
La première phase des fantasmes de fustigation chez la fille doit donc appartenir au tout début de l’enfance. Il y a quelque chose dans ces fantasmes qui, d’une manière remarquable, demeure impossible à déterminer, comme si la chose était indifférente. La maigre réponse que l’on a obtenue des patientes lors de la première communication, «un enfant est battu », paraît justifiée pour ce fantasme. Mais quelque chose d’autre est à coup sûr déterminable, et cela toutes les fois dans le même sens. L’enfant battu n’est jamais le même que l’auteur du fantasme, c’est régulièrement un autre enfant, la plupart du temps un petit frère ou une petite sœur, quand il y en a. Puisque cela peut être un frère ou une sœur, aucune relation constante entre le sexe de l’auteur du fantasme et celui de l’enfant battu ne peut se découvrir. Le fantasme n’est donc sûrement pas masochiste; on serait tenté de le qualifier de sadique, seulement on ne peut négliger le fait que l’enfant auteur du fantasme n’est jamais non plus lui-même celui qui bat. On ne voit pas clairement tout d’abord qui est en réalité la personne qui bat. On peut seulement établir ceci : ce n’est pas un autre enfant, mais un adulte. Cette personne adulte et indéterminée pourra par la suite être reconnue d’une façon claire et univoque comme étant le père (de la fille).
Cette première phase du fantasme de fustigation sera donc pleinement rendue par la phrase : Le père bat l’enfant. Je divulgue une grande partie du contenu qui devra être dévoilé plus tard en disant, au lieu de la phrase précédente : Le père bat l’enfant haï par moi. On peut évidemment se demander avec hésitation si l’on doit déjà reconnaître le caractère d’un «fantasme)) à ce qui n’est encore que la phase préliminaire du fantasme de fustigation ultérieur. Il s’agit peut-être plutôt de souvenirs se rapportant à des scènes qu’on a vues se dérouler, à des désirs qui sont apparus à diverses occasions, mais ces doutes n’ont aucune importance.
Entre cette première phase et la phase suivante se sont accomplies de grandes transformations. La personne qui bat est bien demeurée la même, celle du père, mais l’enfant battu est devenu un autre enfant, c’est régulièrement la personne même de l’enfant auteur du fantasme, le fantasme est à un haut degré teinté de plaisir et s’est empli d’un contenu significatif dont la déduction nous occupera plus tard. Sa formulation est donc maintenant : Je suis battue par le père. Il a indubitablement un caractère masochiste.
Cette seconde phase est la plus importante de toutes et la plus lourde de conséquences. Mais on peut dire d’elle en un certain sens qu’elle n’a jamais eu une existence réelle. Elle n’est en aucun cas remémorée, elle n’a jamais porté son contenu jusqu’au devenir conscient. Elle est une construction de l’analyse, mais n’en est pas moins une nécessité.
La troisième phase offre quant à elle une certaine ressemblance avec la première. Sa formulation est celle qui nous est connue par la communication de la patiente. La personne qui bat n’est jamais la personne du père, elle est ou bien laissée indéterminée comme dans la première phase ou bien investie, d’une manière typique, par un substitut du père (professeur). La personne propre de l’enfant auteur du fantasme ne reparaît plus dans le fantasme de fustigation. Pressées de questions, les patientes répondent seulement : vraisemblablement, je regarde. Au lieu d’un seul enfant battu on a maintenant affaire la plupart du temps à beaucoup d’enfants.
Dans la grande majorité des cas ce sont (dans les fantasmes des filles) des garçons qui sont battus, mais sans qu’ils soient individuellement connus. La situation originaire, simple et monotone, consistant à être battu, peut connaître les modifications et les enjolivements les plus variés, à la fustigation peuvent se substituer la punition et des humiliations d’une autre sorte.
Mais le caractère essentiel qui différencie les fantasmes même les plus simples de cette phase de ceux de la première, et qui établit la relation au fantasme intermédiaire, est le suivant : le fantasme est maintenant porteur d’une forte excitation qui sans équivoque possible est sexuelle, et en tant que tel il conduit à la satisfaction onanistique. Mais c’est justement là qu’est l’énigme : par quelle voie le fantasme désormais sadique dans lequel des garçons étrangers et inconnus sont battus est-il devenu la possession désormais durable de l’aspiration libidinale de la petite fille?
Nous ne nous dissimulons pas non plus que la connexion et la succession des trois phases du fantasme de fustigation comme de toutes ses autres particularités sont restées jusqu’ici totalement incompréhensibles.
L’«enfant battu » est d’abord un frère haï
Si l’on conduit l’analyse à travers ces toutes premières périodes dans lesquelles est logé le fantasme de fustigation et à partir desquelles il est remémoré, elle nous montre l’enfant empêtré dans les excitations de son complexe parental.
La petite fille est tendrement fixée au père, qui vraisemblablement a tout fait pour gagner son amour et de cette manière dépose en elle le germe d’une attitude de haine et de concurrence envers la mère, attitude qui continue à se maintenir à côté d’un courant de tendre affection, et à laquelle il peut être réservé de devenir avec les années toujours plus forte et plus clairement consciente ou de donner l’impulsion à une liaison amoureuse à la mère qui soit excessive et réactive. Mais ce n’est pas au rapport à la mère que se rattache le fantasme de fustigation.
Dans la chambre d’enfants il y a aussi d’autres enfants, plus âgés ou plus jeunes de très peu d’années, qu’on n’aime pas beaucoup, pour bien des raisons, mais principalement parce qu’on doit partager avec eux l’amour des parents, et qu’à cause de cela on repousse de soi avec toute l’énergie sauvage qui est propre à la vie sentimentale de ces années. Si c’est un petit frère ou une petite sœur plus jeune (comme dans trois de mes quatre cas) on le méprise, non content de le haïr, et il faut pourtant qu’on supporte de voir comme il tire à lui cette part de tendresse que les parents aveuglés réservent chaque fois au plus jeune. On comprend bientôt que le fait d’être battu, même si cela ne fait pas très mal, signifie une révocation de l’amour et une humiliation.
Ainsi plus d’un enfant qui se considère comme trônant en sécurité dans l’amour inébranlable de ses parents a été d’un seul coup déchu de tous les cieux de sa toute-puissance présomptueuse. Aussi est-ce une représentation agréable que celle du père battant cet enfant haï, tout à fait indépendamment du fait qu’on l’ait vu battre effectivement. Cela veut dire: le père n’aime pas cet autre enfant, il n’aime que moi.
Tels sont donc le contenu et la signification du fantasme de fustigation dans sa première phase. Le fantasme satisfait ouvertement la jalousie de l’enfant et dépend de sa vie amoureuse, mais il est aussi fortement soutenu par ses intérêts égoïstes. Un doute subsiste donc peut-on le caractériser comme un fantasme purement « sexuel »? On n ose pas non plus l’appeler un fantasme « sadique ».
On sait que vers l’origine tous les caractères avec lesquels nous sommes accoutumés à bâtir nos distinctions ont tendance à s’estomper. Cela ressemblerait donc à la promesse faite par les trois sorcières à Banco : pas à coup sûr sexuel, pas même sadique, mais pourtant la matière d’où doivent sortir l’un et l’autre. Mais en aucun cas il n’y a lieu de supposer que déjà cette première phase du fantasme est au service d’une excitation qui, sous la pression des revendications génitales, apprend à obtenir la décharge dans un acte onanistique.

Dans ce choix d’objet précoce de l’amour incestueux, la vie sexuelle de l’enfant atteint manifestement l’étape de l’organisation génitale. C’est plus facile à démontrer pour les garçons, mais également indubitable pour les petites filles. Quelque chose comme un pressentiment de ce que seront plus tard les buts sexuels définitifs et normaux domine l’aspiration libidinale de l’enfant. On peut à bon droit se demander avec étonnement d’où cela vient, mais on en a pour preuve que les organes génitaux ont déjà commencé à jouer leur rôle dans le processus d’excitation.
Le désir d’avoir un enfant avec la mère ne manque jamais chez le garçon, le désir d’avoir un enfant du père est constant chez la fille, et cela alors qu’ils sont totalement incapables d’avoir une idée claire de la voie qui peut conduire à l’accomplissement de ces désirs. Chez l’enfant, il paraît devoir être établi que les organes génitaux ont quelque chose à faire là-dedans, même si son activité de rumination se plaît à chercher l’essence de l’intimité qu’il suppose exister entre ses parents dans des relations d’une autre sorte, par exemple dans le fait de dormir ensemble, d’uriner en commun, etc., même si un tel contenu peut être mieux saisi dans des représentations de mots que l’obscure activité qui est en rapport avec les organes génitaux.
Intervention de la culpabilité
Mais vient le temps où cette première floraison est gâtée par le gel; aucune de ces amours incestueuses ne peut échapper à la fatalité du refoulement. Elles lui succombent, ou bien à l’occasion d’événements extérieurs démontrables qui ont provoqué une déception (offenses inattendues, naissance indésirable, et ressentie comme une infidélité, d’un petit frère ou d’une petite sœur), ou bien sans occasions de ce genre, pour des raisons internes, peut-être seulement par suite de la carence de l’accomplissement après lequel on a trop longtemps langui. On ne peut méconnaître que les occasions ne sont pas les causes efficientes, mais que ces relations amoureuses sont vouées à sombrer un jour ou l’autre sans que nous en sachions la raison.
Le plus probable est qu’elles s’en vont parce que leur temps est révolu, parce que les enfants entrent dans une nouvelle phase de leur développement dans laquelle ils sont contraints de répéter le refoulement du choix d’objet incestueux que leur dicte l’histoire de l’humanité, tout comme auparavant ils ont été poussés à adopter un tel choix d’objet. (Voir le destin dans le mythe d’œdipe.) Ce qui, comme résultat psychique des motions amoureuses incestueuses, existe à l’état inconscient n’est plus pris en charge par la conscience dans la nouvelle phase, ce qui avait déjà été conscient est à nouveau poussé au-dehors. En même temps que ce processus de refoulement apparaît une conscience de culpabilité, de la même provenance inconnue, mais sans aucun doute rattachée à ces désirs d’inceste et justifiée par leur persistance dans l’inconscient.

Le sadisme s’inverse en masochisme
Le fantasme du temps de l’amour incestueux avait dit: Il (le père) n’aime que moi, et pas l’autre enfant, car c’est ce dernier qu’il bat. La conscience de culpabilité ne sait pas trouver de plus dure punition que le renversement de ce triomphe : « Non, il ne t’aime pas, car il te bat. »
Ainsi le fantasme de la seconde phase - être soi-même battu par le père - deviendrait l’expression directe de la conscience de culpabilité, qui alors a comme base l’amour pour le père. Il est donc devenu masochiste; à ma connaissance il en est toujours ainsi; chaque fois, la conscience de culpabilité est le facteur qui transforme le sadisme en masochisme. Mais cela n’est assurément pas tout le contenu du masochisme. La conscience de culpabilité ne peut pas être restée maîtresse du terrain à elle seule; il faut que la motion amoureuse ait elle aussi sa part.
Rappelons-nous qu’il s’agit d’enfants chez lesquels la composante sadique pouvait ressortir prématurément et isolément pour des raisons constitutionnelles. Nous n’avons pas à renoncer à ce point de vue. Chez de tels enfants, un retour à l’organisation prégénitale, sadique-anale de l’organisation sexuelle est particulièrement facilité. Si l’organisation génitale à peine constituée est atteinte par le refoulement, la conséquence n’est pas seulement que toute représentance psychique de l’amour incestueux devient ou demeure inconsciente, mais en outre que l’organisation génitale elle-même connaît un abaissement régressif.
La proposition « le père m’aime » était comprise au sens génital; sous l’effet de la régression elle se change en celle-ci : le père me bat (je suis battu par le père). Ce fait d’être battu est maintenant un composé de conscience de culpabilité et d’érotisme; il n’est plus seulement la punition pour la relation génitale prohibée, mais aussi le substitut régressif de celle-ci, et à cette dernière source il puise l’excitation libidinale qui lui sera inhérente et trouvera la décharge dans des actes onanistes. Mais cela est précisément l’essence du masochisme.
Le fantasme de la seconde phase - être soi-même battu par le père - demeure généralement inconscient, vraisemblablement par suite de l’intensité du refoulement. Je ne saurais dire pourquoi dans un de mes six cas (un cas masculin) il fut pourtant consciemment remémoré. Cet homme maintenant adulte avait clairement gardé en mémoire le fait qu’il avait coutume d’utiliser à des fins onanistes la représentation « être battu par la mère »; il est vrai qu’il substitua bientôt à sa propre mère la mère de compagnons d’école ou d’autres femmes lui ressemblant de quelque manière.
Il ne faut pas oublier que lors de la transformation du fantasme incestueux du garçon dans le fantasme masochiste correspondant, se produit un renversement qu’on ne trouve pas dans le cas de la fille, à savoir la substitution de la passivité à l’activité, et que ce supplément de déformation peut dispenser le fantasme de demeurer inconscient par suite du refoulement. La conscience de culpabilité se serait donc contentée de la régression à la place du refoulement; dans les cas féminins, la conscience de culpabilité, peut-être en soi plus exigeante, n’aurait été apaisée que par l’action conjuguée des deux mécanismes.
Pourquoi les « enfants battus » sont-ils des garçons ?
Je répète que généralement le fantasme demeure inconscient et doit d’abord être reconstruit dans l’analyse. Cela permet peut-être de donner raison aux patients qui pensent se souvenir que l’onanisme est apparu chez eux plus tôt que le fantasme de fustigation de la troisième phase - dont il faudra également parler; ce dernier ne se serait ajouté que plus tard, sans doute sous l’impression de scènes scolaires. Aussi souvent que nous avons accordé crédit à ces indications, nous avons toujours été enclins à admettre que l’onanisme était tout d’abord confessé sous l’empire de fantasmes inconscients auxquels plus tard étaient substitués des fantasmes conscients.
C’est comme un substitut de cette sorte que nous concevons alors le fantasme connu de la troisième phase, configuration définitive du fantasme de fustigation, dans laquelle l’enfant auteur du fantasme n’intervient plus, à la rigueur, que comme spectateur, et où le père est maintenu dans la personne d’un professeur ou de n’importe quel autre supérieur. Le fantasme, qui maintenant est identique à celui de la première phase, semble s’être de nouveau retourné en fantasme sadique.
On a l’impression que dans la phase « le père bat l’autre enfant, il n’aime que moi » l’accent est remonté sur la première partie, après que la seconde a succombé au refoulement. Mais il n’y a que la forme de ce fantasme qui soit sadique; la satisfaction qui est obtenue à partir de lui est une satisfaction masochiste; sa signification réside en ce qu’il a pris en charge l’investissement libidinal de l’élément refoulé, et avec lui la conscience de culpabilité qui y est attachée. Tous ces enfants indéterminés qui sont battus par le maître ne sont pourtant que des substituts de la personne propre.
Ici se montre aussi pour la première fois quelque chose comme une constance du sexe chez les personnes servant au fantasme. Les enfants battus sont presque exclusivement des garçons, dans les fantasmes des garçons aussi bien que dans ceux des filles. Ce trait ne s’explique pas d’une manière intelligible par une quelconque concurrence des sexes, car alors dans les fantasmes des garçons il devrait y avoir beaucoup plus de filles battues; il n’a rien à voir non plus avec le sexe de l’enfant haï de la première phase; mais il se réfère à un processus qui chez les filles introduit des complications.
Lorsqu’elles se détournent de l’amour génital incestueux pour le père, les filles rompent le plus facilement du monde avec leur rôle féminin, donnent vie à leur « complexe de virilité » (Van Ophuijsen), et désormais ne veulent être que des garçons. C’est pourquoi les souffre-douleur qu’elles se donnent comme substituts sont aussi des garçons.
Ces observations peuvent être exploitées dans plusieurs directions pour mettre en lumière la genèse des perversions en général et du masochisme en particulier, et pour apprécier le rôle que joue la différence des sexes dans la névrose en général.
Le résultat le plus frappant d’une telle discussion concerne la genèse des perversions. La conception qui met en avant dans celles-ci le renforcement constitutionnel ou l’avance prématurée d’une composante sexuelle n’est certes pas ébranlée, mais tout n’est pas dit pour autant. La perversion ne se tient plus isolée dans la vie sexuelle de l’enfant; elle est au contraire accueillie dans le contexte des processus de développements typiques - pour ne pas dire normaux - que nous connaissons.
Elle est mise en relation avec les objets d’amour incestueux de l’enfant, avec son complexe d’œdipe, elle se montre à nous pour la première fois sur le terrain de ce complexe, et après qu’il s’est effondré, elle est souvent la seule chose qui en reste, héritière de sa charge libidinale et obérée par la conscience de culpabilité qui y est attachée. La constitution sexuelle anormale a finalement montré sa force en ce qu’elle a poussé le complexe d’œdipe dans une direction particulière et l’a contraint à une manifestation résiduelle inhabituelle.
La perversion infantile peut, comme on le sait, servir de fondement à la formation d’une perversion équivalente subsistant la vie durant, qui consume toute la vie sexuelle de l’être humain, ou elle peut être interrompue et maintenue à l’arrière-plan d’un développement sexuel normal, auquel cependant elle continue toujours de soustraire un certain quantum d’énergie. Le premier cas est celui que l’on connaissait déjà aux temps préanalytiques, mais le fossé entre les deux est quasiment comblé par l’étude analytique des perversions adultes.
En effet, on découvre assez fréquemment chez ces pervers qu’eux aussi, habituellement à l’époque de la puberté, ont formé un rudiment d’activité sexuelle normale. Mais il n’était pas assez fort, il a été abandonné aux premiers obstacles qui ne manquent pas de se produire, et puis la personne est définitivement revenue à la fixation infantile.
Il serait naturellement important de savoir si l’on est en droit d’affirmer d’une manière tout à fait générale que la genèse des perversions infantiles se fait à partir du complexe d’œdipe.
Si la dérivation des perversions à partir du complexe d’œdipe peut être faite universellement, alors notre appréciation de ce complexe connaît une nouvelle confirmation. Nous pensons en effet que le complexe d’œdipe est le véritable noyau de la névrose, que la sexualité infantile, qui culmine en lui, est sa condition effective, et que ce qui subsiste de ce complexe dans l’inconscient représente la disposition de l’adulte à contracter ultérieurement une névrose.
Le fantasme de fustigation et d’autres fixations perverses analogues ne seraient alors eux aussi que des sédiments laissés par le complexe d’œdipe, pour ainsi dire des cicatrices, séquelles d’un processus révolu, tout comme la fameuse « infériorité » correspond à une cicatrice narcissique analogue.
Une conscience morale critique : le Surmoi
En ce qui concerne la genèse du masochisme, la discussion de nos fantasmes de fustigation ne fournit que des contributions parcimonieuses. Tout d’abord, il semble devoir se confirmer que le masochisme n’est pas une manifestation pulsionnelle primaire, mais qu’il provient d’un retournement du sadisme contre la personne propre, donc qu’il correspond à une régression de l’objet au Moi. Il faut accorder qu’il existe des pulsions à but passif dès le début, surtout chez la femme, mais la passivité n’est pas encore le tout du masochisme; celui-ci comprend encore le caractère de déplaisir qui est si étrange dans un accomplissement de pulsion.
La transformation du sadisme en masochisme paraît avoir lieu sous l’influence de la conscience de culpabilité qui prend part à l’acte du refoulement. Le refoulement se manifeste donc ici par trois sortes d’effets il rend inconscients les résultats de l’organisation génitale, il contraint cette organisation elle-même à une régression au stade antérieur sadique-anal, et il transforme le sadisme de ce stade en masochisme passif et en un certain sens à nouveau narcissique. Le second de ces trois résultats est rendu possible par la faiblesse de l’organisation génitale qu’on doit admettre dans ces cas; le troisième devient nécessaire parce que la conscience de culpabilité est autant choquée par le sadisme que par le choix d’objet incestueux pris au sens génital.
D’où provient la conscience de culpabilité elle-même? Les analyses, une fois encore, n’en disent rien. Il semble qu’elle soit apportée par la nouvelle phase dans laquelle entre l’enfant, et que, lorsqu’elle subsiste à partir de ce moment, elle corresponde à une cicatrisation analogue à celle que constitue le sentiment d’infériorité. D’après l’orientation encore incertaine de nos recherches sur la structure du Moi, nous l’attribuerions à cette instance qui, en tant que conscience morale critique, s’oppose au reste du Moi, produit dans le rêve le phénomène fonctionnel de Silberer et se sépare du Moi dans le délire d’observance.
Paranoïa et fétichisme : un rapport possible
J’ai déjà exposé quelle signification prend habituellement la troisième phase, apparemment sadique, du fantasme de fustigation; elle est le porteur de l’excitation qui pousse à l’onanisme et l’instigateur d’une activité fantasmatique qui en partie continue cet onanisme comme tel, en partie le suspend d’une manière compensatoire. Pourtant la seconde phase du fantasme, inconsciente et masochiste, « être soi-même battu par le père», est de loin la plus importante. Non seulement elle continue d’agir par l’intermédiaire de la phase qui se substitue à elle, mais elle a aussi sur le caractère des effets vérifiables qui dérivent immédiatement de sa formule inconsciente.
Des êtres humains qui portent en eux un tel fantasme font preuve d’une sensibilité et d’une susceptibilité particulières vis-à-vis des personnes qu’ils peuvent insérer dans la série paternelle; ils se laissent facilement offenser par ces personnes et ainsi procurent sa réalisation à la situation fantasmée, à savoir qu’ils sont battus par le père, pour leur plus grand malheur. Je ne serais pas étonné si l’on parvenait un jour à montrer que ce même fantasme est à la base du délire quérulant des paranoïaques.
Le masochisme : une position féminine
Chez ces hommes masochistes, on fait une découverte qui nous avertit que, jusqu’à plus ample informé, l’analogie avec les circonstances rencontrées chez la femme ne doit pas être poursuivie plus loin, et que nous devons au contraire juger les faits par eux-mêmes. Il apparaît en effet que dans leurs fantasmes masochistes comme dans les mises en scène qui en permettent la réalisation ils adoptent régulièrement des rôles de femmes, autrement dit leur masochisme coïncide avec une position féminine.
Cela est facile à montrer à partir des détails de leurs fantasmes; mais beaucoup de patients le savent aussi et l’expriment comme une certitude subjective. Rien n’est changé à l’affaire si la décoration scénique de la scène masochiste maintient la fiction d’un méchant garçon, page ou apprenti, qui doit être puni : les personnes qui sévissent sont chaque fois, dans les fantasmes comme dans les mises en scène, des femmes. C’est assez confondant; on aimerait aussi savoir si le masochisme des fantasmes infantiles de fustigation repose sur une même disposition féminine.
Laissons donc de côté les circonstances difficiles à élucider du masochisme des adultes et tournons-nous vers les fantasmes infantiles de fustigation chez les individus de sexe masculin. Là, l’analyse de la prime enfance nous permet à nouveau de faire une découverte surprenante: le fantasme conscient ou capable de conscience qui a pour contenu « être battu par la mère » n’est pas primaire. Il a un stade préliminaire qui est régulièrement inconscient et qui a pour contenu : Je suis battu par le père. Ce stade préliminaire correspond donc réellement à la seconde phase du fantasme de la fille.
Le fantasme connu et conscient « je suis battu par la mère » occupe la place de la troisième phase du fantasme de la fille où, a-t-on dit, des garçons inconnus sont les objets battus. Je n’ai pu démontrer l’existence chez le garçon d’un stade préliminaire de nature sadique comparable à la première phase du fantasme de la fille, mais je ne veux pas prononcer ici un refus définitif car je conçois bien la possibilité de types plus compliqués.
Etre battu, dans le fantasme masculin - pour le nommer brièvement et d’une manière qui je l’espère ne prête pas à confusion -, c’est aussi bien être aimé au sens génital du terme, après un rabaissement dû à la régression. Originairement, le fantasme inconscient masculin n’a donc pas eu pour formule « je suis battu par le père », comme nous l’avions d’abord établi provisoirement, mais plutôt: Je suis aimé par le père. Il a été transformé, par les processus connus, en un fantasme conscient: Je suis battu par la mère.
Le fantasme de fustigation du garçon est donc dès le début un fantasme passif, effectivement issu de la position féminine à l’égard du père. Et il correspond aussi bien que le fantasme féminin (celui de la fille) au complexe d’œdipe, seulement le parallélisme auquel nous nous attendions doit être abandonné pour une similitude d’une autre sorte : dans les deux cas le fantasme de fustigation dérive de la liaison incestueuse au père.
Les choses ne seront que plus claires si je donne aussi les autres ressemblances et différences qui existent entre les fantasmes de fustigation des deux sexes. Chez la fille, le fantasme masochiste inconscient vient de la position oedipienne normale; chez le garçon, il vient de la position renversée qui prend le père comme objet d’amour.
Le garçon se soustrait, par le refoulement et le remaniement du fantasme inconscient, à son homosexualité; ce qu’il y a de remarquable dans son fantasme conscient ultérieur, c’est qu’il a pour contenu une position féminine sans choix d’objet homosexuel. La fille par contre échappe, au cours du même processus, à l’exigence de la vie amoureuse en général; elle se fantasme en homme sans devenir elle-même virilement active, et n’assiste plus qu’en spectateur à l’acte qui se substitue à un acte sexuel.
Nous avons des raisons d’admettre qu’il n’y a pas grand-chose de changé par le refoulement du fantasme inconscient originaire. Tout ce qui pour la conscience a été refoulé et remplacé par un substitut reste conservé dans l’inconscient et capable de produire des effets. Il en va autrement avec l’effet de la régression sur une étape antérieure de l’organisation sexuelle. Nous sommes en droit de penser que la régression va jusqu’à changer les circonstances dans 1’inconscient, de sorte que ce qui chez les deux sexes reste en place dans l’inconscient après le refoulement, ce n’est assurément pas le fantasme (passif) « être aimé par le père », mais le fantasme masochiste « être battu par le père ». Et l’on ne manque pas d’indices montrant que le refoulement n’a atteint son dessein que très imparfaitement.
Le garçon qui a voulu échapper au choix d’objet homosexuel et n’a pas changé son sexe se sent pourtant une femme dans ses fantasmes conscients et dote les femmes qui battent de propriétés et d’attributs masculins. La fille qui, de son côté, a renoncé à son sexe et accompli un travail de refoulement dans l’ensemble plus profond, ne se débarrasse pourtant pas du père, ne se risque pas à battre personnellement, et parce qu’elle est elle-même devenue garçon, elle fait battre principalement des garçons.
Œdipe, clé de voûte de la sexualité
La théorie psychanalytique qui s’appuie sur l’observation tient ferme à l’idée que les motifs du refoulement ne doivent pas être sexualisés. Ce qui forme le noyau de l’inconscient psychique est l’héritage archaïque de l’être humain, et ce qui succombe au processus du refoulement, c’est la part de cet héritage qui doit toujours être laissée de côté lors du progrès vers des phases ultérieures du développement, parce qu’elle est inutilisable, incompatible avec la nouveauté et nuisible à celle-ci. Ce choix réussit mieux pour un groupe de pulsions que pour les autres. Ces dernières, les pulsions sexuelles, en vertu de circonstances particulières qui ont déjà été exposées maintes fois, ont le pouvoir de déjouer les desseins du refoulement et de se faire représenter de force par des formations substitutives génératrices de troubles.
Voilà pourquoi la sexualité infantile, qui est soumise au refoulement, est la force motrice principale de la formation du symptôme, et que l’élément essentiel de son contenu, le complexe d’œdipe, est le complexe nucléaire de la névrose. J’espère que grâce à cette communication on s’attendra à ce que les aberrations sexuelles de l’enfance elles aussi proviennent du même complexe que celles de l’âge adulte.

samedi 28 mai 2011

Expérience de satisfaction



L’expérience de satisfaction désigne la satisfaction de la pulsion, mais plus particulièrement la première satisfaction telle, en ce qu'elle orientera tout le comportement futur du sujet.
Pour Sigmund Freud, le nourrisson a faim, et le psychanalyste distingue le besoin de manger. Dans un état de détresse, ou de désaide, il n'est pas capable de subvenir à son besoin.
Puis, sa mère vient lui offrir le sein et l'enfant vit sa première expérience de satisfaction, qui concerne donc d'abord un besoin vital, biologique. Suite à cette expérience de satisfaction, la pulsion viendra rechercher une telle expérience : ainsi naîtra le désir, d'abord pulsion d'autoconservation, qui poussera activement à l'obtention d'une telle satisfaction.
Selon ce modèle, la pulsion ne connaît à l'origine pas d'objet et la sexualité elle aussi sera anobjectale, recherchant simplement à recréer le plaisir.
Par la suite, l'enfant verra les pulsions sexuelles émerger, s'étayant sur cette satisfaction, et la sexualité psychique viendra se loger au sein de cette expérience, à propos de laquelle Karl Abraham distinguera deux phases : l'oralité des premiers temps et le stade sadique-oral, ou cannibalique.
Lacan reprend le modèle de l'expérience de satisfaction ; ce qui l'intéresse cependant est de différencier besoin, désir et demande : s'il retient donc la distinction freudienne, il apportera une vision différente du désir, comme désir de l'autre, et accordera l'importance qui lui est due à la demande.
Le besoin reste donc relatif a la privation, le désir concernera la frustration, la demande la castration, parce que :
  • le besoin vise l'accession directe à une satisfaction fondamentale biologique et/ou physique (par exemple manger ou dormir),
  • le désir ayant inclus l'expérience précédente avec connaissance de l'objet du manque et, élaboration intellectuelle faite, celui-ci devient objet d'amour (symbolisation).
  • la sensation primaire de faim est donc affectée par l'expérience, c'est-à-dire la découverte de l'objet de toutes ses satisfactions les plus fondamentales, OR :
  • la recherche satisfaction directe sera le but utopique constamment recherché d'où l'évocation d'une énergie somme toute déplacée, ou mieux, codée : l'énergie libidinale
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Jacques Tréhot De l'expérience originaire de satisfaction ...

mercredi 25 mai 2011

Etayage


L'étayage est un concept lisière entre psychanalyse et éthologie.
Il y a une relation étroite entre la pulsion sexuelle et certaines fonctions corporelles. Ainsi dans l'activité orale du nourrisson il y a un plaisir pris à la succion du sein, c'est-à-dire l'excitation d'une zone érogène étroitement liée à la satisfaction du besoin de nourriture, on dit alors que la pulsion sexuelle s'étaye sur ce besoin.
« Au début, la satisfaction de la zone érogène était sans doute associée à la satisfaction du besoin alimentaire. L’activité sexuelle s’étaye tout d’abord sur une des fonctions servant à la conservation de la vie et ne s’en affranchit que plus tard » (S. Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle).
La notion d’étayage fut utilisée par S. Freud pour définir la façon dont la pulsion sexuelle émerge des pulsions d’autoconservation à la période où apparaît l’auto érotisme*.
Lors de la tétée l’enfant répond au besoin impérieux (pulsion d’autoconservation) de se nourrir et ce faisant il obtient en parallèle un bénéfice, le plaisir, qui va devenir par la suite un but recherché pour lui-même. Une satisfaction autre que celle des fonctions vitales apparaît qui est une première satisfaction sexuelle. Dans l’exemple de la tétée, la zone labiale est sollicitée, elle va devenir une zone érogène pour l’enfant qui par la suite, dans un acte auto-érotique comme celui de la succion du pouce, va satisfaire une pulsion sexuelle.
Le terme d’étayage est également employé à propos du choix d’objet* pour exprimer le processus qui amène l’enfant de la vision de l’objet partiel (ex : le sein) qui assure la satisfaction instinctuelle (le besoin), à la reconnaissance de l’objet total (personne reconnue en tant que telle) par étayage.
Le concept d'étayage en pédagogie renvoie à la théorie de l'américain Jerome Bruner et à l'intervention de l'adulte dans l'apprentissage de l'enfant : “L’étayage (désigne) l’ensemble des interactions d’assistance de l’adulte permettant à l’enfant d’apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu’il ne savait pas résoudre au départ. ”
Dans la psychanalyse freudienne, l'étayage, un des trois caractères de la sexualité infantile, désigne la relation existant entre les pulsions sexuelles et les pulsions d'autoconservation. les premières s'aident d'abord des fonctions vitales qui leur fournissent une source organique, un objet et une direction, et deviennent par la suite indépendantes.
Dans les sciences du langage, ce terme désigne, dans une situation de communication exolingue et asymétrique, les conduites langagières de soutien et d'aide, telles que la facilitation des énoncés et la vérification systématique qui scandent les échanges entre un natif et un non-natif. L'étayage, qui met ensemble la compréhension et la structuration discursive, est l'ajustement réciproque que le natif et le non-natif utilisent pour communiquer.
Pour de nombreux auteurs, l'étayage constitue un point majeur de la découverte psychanalytique : "[…] les deux grandes découvertes spécifiquement freudienne, celles autour desquelles toute la théorie psychanalytique s'est constituée, concerne les notions de Bindung (liaison) et d'Anlehnung (étayage) (Bergeret, 2000).

Étymologie Traduit de l'allemand : Anlehnung
- anlehen : appuyer sur, poser sur,…
- Anlehnung : en imitant qn/qch
C'est ce premier sens "d'appui sur" qui a été principalement retenu par la tradition psychanalytique (d'où les deux termes d'étayage et d'anaclitique employés dans les traductions).
  • Les moments clefs :
Le mot apparait dès 1905 et constitue un "point central" dans l'élaboration de cette première théorie des pulsions présentée dans les Trois essais…
La notion d'étayage représente également un moment important de la description de 1914 relatif au choix d'objet dans la vie amoureuse.
Choix d'objet :
- selon le type narcissique
- selon le type par étayage
  • Les trois temps de l'étayage / sexualité infantile :
Pour comprendre la notion d'étayage dans le champ de la sexualité infantile (psychanalyse), il semble nécessaire de la concevoir et de la penser eu regard, d'une part à l'instinct, d'autre part à son développement temporel :
1 ° temps :
"Les premières satisfactions sexuelles auto-érotique sont vécues en conjonction avec l'exercice des fonctions vitales qui servent à la conservation de l'individu" (Freud, 1914)(fonctions servant l'alimentation, .. dans l'exemple princeps de l'alimentation du bébé au sein).
Conjonction : all. Anschluss, lit. "branché sur"
En ce premier temps l'on peut parler d'un "nouage" entre l'instinct et la Libido.
2 ° temps :
Temps de relative séparation des pulsions d'autoconservation (les besoins selon Laplanche, 1970) et des pulsions sexuelles : "puis le besoin de répétition de la satisfaction sexuelle se sépare du besoin de nutrition" (Freud, 1914).
Notons que pour la théorie psychanalytique, "l'excitation sexuelle se produit comme effet additionnel" (Freud, 1905). L'effet additionnel (Nebenwirkung - lit. "effet à côté") ou "prime de plaisir"…
En ce 2 ° temps la Libido "s'émancipe" de l'instinct.
3 ° temps :
Moment d'une relative réunification, à l'adolescence, sous le primat de la génitalité. Temps de rétablissement d'une "unité normalement requise à la fonction amoureuse"(Freud, 1905).
La Libido "mime" t'elle l'instinct ?

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Choix d’objet narcissique, choix d’objet par étayage
La vie amoureuse des êtres humains, avec la diversité de sa différenciation chez l’homme et la femme, nous fournit un troisième accès à l’étude du narcissisme. De même que la libido d’objet a d’abord caché à notre observation la libido du Moi, de même, en étudiant le choix d’objet des enfants (et des adolescents), avons-nous tout d’abord remarqué qu’ils tirent leurs objets sexuels de leurs premières expériences de satisfaction.
Les premières satisfactions sexuelles auto-érotiques sont vécues en conjonction avec l’exercice de fonctions vitales qui servent à la conservation de l’individu. Les pulsions sexuelles s’étayent d’abord sur la satisfaction des pulsions du Moi, dont elles ne se rendent indépendantes que plus tard; mais cet étayage continue à se révéler dans le fait que les personnes qui ont affaire avec l’alimentation, les soins, la protection de l’enfant deviennent les premiers objets sexuels; c’est en premier lieu la mère ou son substitut.
Mais à côté de ce type et de cette source de choix d’objet, que l’on peut nommer type par étayage, la recherche psychanalytique nous en a fait connaître un second que nous ne nous attendions pas à rencontrer. Nous avons trouvé avec une particulière évidence chez des personnes dont le développement libidinal est perturbé, comme les pervers et les homosexuels, qu’ils ne choisissent pas leur objet d’amour ultérieur sur le modèle de la mère, mais bien sur celui de leur propre personne.
De toute évidence, ils se cherchent eux-mêmes comme objet d’amour, en présentant le type de choix d’objet qu’on peut nommer narcissique. C’est dans cette observation qu’il faut trouver le plus puissant motif qui nous contraint à l’hypothèse du narcissisme.
En fait nous n’avons pas conclu que les êtres humains se divisaient en deux groupes rigoureusement distincts selon leur type de choix d’objet, par étayage ou narcissique; au contraire, nous préférons faire l’hypothèse que les deux voies menant au choix d’objet sont ouvertes à chaque être humain, de sorte que l’une ou l’autre peut avoir la préférence.
Nous disons que l’être humain a deux objets sexuels originaires: lui-même et la femme qui lui donne ses soins; en cela nous présupposons le narcissisme primaire de tout être humain, narcissisme qui peut éventuellement venir s’exprimer de façon dominante dans son choix d’objet.
La comparaison de l’homme et de la femme montre alors qu’il existe dans leur rapport au type de choix d’objet des différences fondamentales, bien qu’elles ne soient naturellement pas d’une régularité absolue. Le plein amour d’objet selon le type par étayage est particulièrement caractéristique de l’homme. Il présente la surestimation sexuelle frappante qui a bien son origine dans le narcissisme originaire de l’enfant et répond donc à un transfert de ce narcissisme sur l’objet sexuel.
Cette surestimation sexuelle permet l’apparition de l’état bien particulier de la passion amoureuse qui fait penser à une compulsion névrotique, et qui se ramène ainsi à un appauvrissement du Moi en libido au profit de l’objet. Différent est le développement du type féminin le plus fréquent et vraisemblablement le plus pur et le plus authentique. Dans ce cas, il semble que, lors du développement pubertaire, la formation des organes sexuels féminins, qui étaient jusqu’ici à l’état de latence, provoque une augmentation du narcissisme originaire, défavorable à un amour d’objet régulier s’accompagnant de surestimation sexuelle.
Il s’installe, en particulier dans le cas d’un développement vers la beauté, un état où la femme se suffit à elle-même, ce qui la dédommage de la liberté de choix d’objet que lui conteste la société. De telles femmes n’aiment, à strictement parler, qu’elles-mêmes, à peu près aussi intensément que l’homme les aime. Leur besoin ne les fait pas tendre à aimer, mais à être aimées, et leur plaît l’homme qui remplit cette condition. On ne saurait surestimer l’importance de ce type de femmes pour la vie amoureuse de l’être humain.
De telles femmes exercent le plus grand charme sur les hommes, non seulement pour des raisons esthétiques, car elles sont habituellement les plus belles, mais aussi en raison de constellations psychologiques intéressantes. Il apparaît en effet avec évidence que le narcissisme d’une personne déploie un grand attrait sur ceux qui se sont dessaisis de toute la mesure de leur propre narcissisme et sont en quête de l’amour d’objet; le charme de l’enfant repose en bonne partie sur son narcissisme, le fait qu’il se suffit à lui-même, son inaccessibilité; de même le charme de certains animaux qui semblent ne pas se soucier de nous, comme les chats et les grands animaux de proie; et même le grand criminel et l’humoriste forcent notre intérêt, lorsque la poésie nous les représente, par ce narcissisme conséquent qu’ils savent montrer en tenant à distance de leur Moi tout ce qui le diminuerait.
C’est comme si nous les envions pour l’état psychique bienheureux qu’ils maintiennent, pour une position de libido inattaquable que nous avons nous-même abandonnée par la suite. Mais le grand charme de la femme narcissique ne manque pas d’avoir son revers; l’insatisfaction de l’homme amoureux, le doute sur l’amour de la femme, les plaintes sur sa nature énigmatique ont pour une bonne part leur racine dans cette incongruence des types de choix d’objet.
Peut-être n’est-il pas superflu de donner l’assurance que, dans cette description de la vie amoureuse féminine, tout parti pris de rabaisser la femme m’est étranger. En dehors du fait que tout parti pris en général m’est étranger, je sais aussi que ces différentes voies d’accomplissement correspondent, dans un rapport biologique extrêmement compliqué, à la différenciation des fonctions; de plus, je suis prêt à admettre qu’il existe quantité de femmes qui aiment selon le type masculin et développent également la surestimation sexuelle propre à ce type.
Et même pour les. femmes narcissiques qui restent froides envers l’homme, il est une voie qui les mène au plein amour d’objet. Dans l’enfant qu’elles mettent au monde, c’est une partie de leur propre corps qui se présente à elles comme un objet étranger, auquel elles peuvent maintenant, en partant du narcissisme, vouer le plein amour d’objet. D’autres femmes encore n’ont pas besoin d’attendre la venue d’un enfant pour s’engager dans le développement qui va du narcissisme (secondaire) à l’amour d’objet.
Avant la puberté, elles se sont senties masculines et ont fait un bout de développement dans le sens masculin; après que la survenue de la maturité féminine a coupé court à ces tendances, il leur reste la faculté d’aspirer à un idéal masculin qui est précisément la continuation de cet être garçonnier qu’elles étaient elles-mêmes autrefois.
Nous pouvons conclure ces remarques par un résumé des voies menant au choix d’objet. On aime:
1) Selon le type narcissique :
a) Ce que l’on est soi-même;
b) Ce que l’on a été soi-même.
c) Ce que l’on voudrait être soi-même;
d) La personne qui a été une partie du propre soi.
2) Selon le type par étayage:
a) La femme qui nourrit;
b) L’homme qui protège; et les lignées de personnes substitutives qui en partent.
Le cas c) du premier type ne pourra être justifié que par des développements qu’on trouvera plus loin.
Il restera, dans un autre contexte, à apprécier l’importance du choix d’objet narcissique pour l’homosexualité masculine.

mardi 24 mai 2011

Etat hypnoïde


PSYCH. Qui a l'apparence du sommeil ou qui présente les caractères d'un état hypnotique. Cet état hypnoïde peut aller d'une désorganisation passagère et légère à un dédoublement apparent de la personnalité, d'une allure d'« absence » à une mise en sommeil complète de l'activité intellectuelle consciente (Amadou, Parapsychol., 1954, p. 195).
Prononc. : [ipnɔid]. Étymol. et Hist. 1954 (Amadou, op. cit., p. 98). Empr. à l'all. hypnoid (1893, Breuer et Freud ds Neurol. Centralblatt, XII, II, 43, cf. NED Suppl.2), formé sur le gr. ύπνος « sommeil » avec suff. correspondant au fr. -oïde.
Etat du sujet dans lequel on observe une diminution de la conscience, de l'activité intellectuelle, des perceptions, et qui correspond à une sorte de sommeil artificiel.
L’état hypnoïde, terme introduit par J. Breuer, est un état analogue à celui crée par l’hypnose et se caractérise par la formation de groupes d’associations séparés de la conscience. 

Se dit d'un état psychique survenant en dehors du sommeil, caractérisé par l'obscurcissement de la conscience, la diminution des perceptions et des contenus de pensée analogues à ceux du rêve. (Pour J. Breuer, cet état de conscience est analogue à celui obtenu par hypnose.)
Analogue au sommeil. Selon Breuer, le collaborateur de Freud dans les Études sur l'hystérie (1895), les états hypnoïdes se produisent fréquemment chez les femmes qui ont des activités telles que les travaux ménagers qui ne requièrent pas leur pleine attention et prédisposent à l'HYSTÉRIE. 

État hypnoïde et État hystéroïde. Lors de la réinstauration de la situation dérivant du traumatisme, phénomène passif, inconscient, comparable à une hystérésis, dû au blocage initial, et à la tendance à achever un  phénomène, l’état hypnoïde et celui hystéroïde  se manifestent  soit ensemble, soit séparément. Le premier est comparable à l’état où se trouve la personne hypnotisée, le second est composé de diverses douleurs organiques.
 

Les névropsychoses de défense, Sigmund Freud
(1ère partie)
Essai d'une théorie psychologique de l'hystérie acquise, de nombreuses phobies et représentations de contrainte et de certaines psychoses hallucinatoires
Lors de l'étude approfondie de plusieurs nerveux affligés de phobies et de représentations de contrainte s'est imposé à moi un essai d'explication de ces symptômes, qui me permit ensuite de deviner avec bonheur la provenance de telles représentations morbides dans des cas autres, nouveaux, et que pour cela j'estime digne d'être communiqué et soumis plus avant à examen.
Simultanément à cette « théorie psychologique des phobies et représentations de contrainte», se dégagea de l'observation des malades une contribution à la théorie de l'hystérie ou plutôt une modification de celle-ci, qui semble tenir compte d'un important caractère commun à l'hystérie et aux dites névroses.
De plus, j'eus l'occasion d'acquérir une intelligence du mécanisme psychologique d'une forme d'affection indubitablement psychique et, ce faisant, je trouvai que le mode de considération dont je faisais l'essai établit une connexion intelligible entre ces psychoses et les deux névroses mentionnées. Une hypothèse adjuvante dont je me suis servi dans chacun des trois cas sera par moi mise en relief en conclusion de cet article.
1
Je commence par cette modification que la théorie de la névrose hystérique me semble requérir:
Que le complexe symptomatique de l'hystérie, pour autant qu'il autorise à ce jour une compréhension, justifie l'hypothèse d'un clivage de la conscience avec formation de groupes psychiques séparés, c'est ce qui, depuis les beaux travaux de P. Janet, J. Breuer et autres, avait déjà bien pu accéder à la reconnaissance générale. Ce qui est moins clarifié, ce sont les opinions sur la provenance de ce clivage de conscience et sur le rôle que ce caractère joue dans la texture de la névrose hystérique.
D'après la doctrine de Janet , le clivage de conscience est un trait primaire de la modification hystérique. Il repose sur une faiblesse innée de la capacité de synthèse psychique, sur l'étroitesse du « champ de conscience » (champ de conscience) , qui en tant que stigmate psychique témoigne de la dégénérescence des individus hystériques.
En opposition avec la vision de Jane t, qui me semble autoriser les objections les plus variées, se trouve celle que J. Breuer a soutenue dans notre Communication commune. D'après Breuer, ce qui est « fondement et condition» de l'hystérie, c'est la survenue d'états de conscience particuliers, de l'espèce du rêve, avec capacité d'association restreinte, pour lesquels il propose le nom d' « états hypnoïdes ». Le clivage de conscience est alors un clivage secondaire, acquis; il se produit du fait que les représentations qui ont émergé dans des états hypnoïdes sont coupées du commerce associatif avec le reste du contenu de conscience.
Je puis maintenant procéder à la mise en évidence de deux autres formes extrêmes d'hystérie, dans lesquelles il est impossible que le clivage de conscience soit interprété comme un clivage primaire, au sens de Janet. Dans la première de ces formes, je réussis de façon répétée à montrer que le clivage du contenu de conscience est la conséquence d'un acte de volonté du malade, c.-à-d. est introduit par une contention de volonté dont on peut indiquer le motif.
Naturellement, je n'affirme pas ici que le malade a l'intention d'amener un clivage de sa conscience; l'intention du malade est autre, mais elle n'atteint pas son but, bien au contraire elle provoque un clivage de la conscience. Dans la troisième forme d'hystérie, dont nous avons prouvé l'existence par l'analyse psychique de malades intelligents, le clivage de conscience joue un rôle très minime, peut-être pas de rôle du tout. Il s'agit de ces cas dans lesquels la réaction aux stimulus traumatiques n'a simplement pas eu lieu, qui peuvent donc être aussi liquidés et guéris par « abréagir » les pures hystéries de rétention.
Concernant le rattachement aux phobies et représentations de contrainte, je n'ai affaire ici qu'à la deuxième forme de l'hystérie que, pour des raisons qu'on discernera bientôt, je vais désigner comme hystérie de défense, et par ce nom départager des hystéries hypnoïde et de rétention. Je puis aussi, provisoirement, donner mes cas d'hystérie de défense comme hystérie « acquise», puisqu'il n'était question dans ces cas ni de lourde charge héréditaire ni d'atrophie dégénérative propre.
Chez les patients analysés par moi une bonne santé psychique avait en effet existé, jusqu'au moment où survint un cas d'inconciliabilité dans leur vie de représentation, c.-à-d. jusqu'à ce qu'une expérience vécue, une représentation, sensation, approcha leur moi, éveillant un affect si pénible que la personne décida d'oublier cela, parce qu'elle ne se croyait pas la force de résoudre par le travail de pensée la contradiction entre cette représentation inconciliable et son moi.
Chez les personnes du sexe féminin, de telles représentations inconciliables croissent le plus souvent sur le terrain de l'expérience de vie et de la sensibilité sexuelles, et celles qui sont tombées malades se souviennent d'ailleurs avec toute la précision souhaitable de leurs efforts de défense, de leur intention d' « écarter» la chose, de ne pas y penser, de la réprimer.
Voici, relatifs à cela, des exemples tirés de mon expérience, et dont je pourrais aisément multiplier le nombre, tels que le cas d'une jeune fille qui, pendant les soins donnés à son père malade, s'en veut de penser à un jeune homme qui lui a fait une légère impression érotique; le cas d'une gouvernante qui était tombée amoureuse de son patron et qui décida de chasser ce penchant de son esprit parce qu'il lui semblait inconciliable avec sa fierté, etc., etc..
Certes je ne puis affirmer que la contention de volonté, afin de repousser de ses pensées quelque chose de cette sorte, soit un acte pathologique; je ne saurais dire non plus si et de quelle manière réussit l'oubli intentionnel pour ces personnes qui, sous l'effet des mêmes actions psychiques, demeurent en bonne santé.
Je sais seulement que pour les patients analysés par moi un tel oubli n’a pas réussi, mais qu'au contraire il les a conduits à diverses réactions pathologiques qui engendrèrent soit une hystérie, soit une représentation de contrainte, soit une psychose hallucinatoire. Dans la capacité de provoquer, par cette contention de volonté, un de ces états qui tous sont liés à un clivage de conscience, il faut voir l'expression d'une disposition pathologique, qui pourtant n'a pas nécessairement besoin d'être identique à une « dégénérescence» personnelle ou héréditaire.
Suivant la voie qui mène de la contention de volonté du patient jusqu'à l'apparition du symptôme névrotique, je me suis formé une opinion qui, dans les abstractions psychologiques usuelles, se laisse exprimer à peu près ainsi : la tâche que s'assigne le moi opposant une défense, traiter la représentation inconciliable comme « non arrivée » , est pour celui-ci insoluble directement; aussi bien la trace mémorielle que l'affect adhérant à la représentation sont bel et bien là, et inextirpables.
Mais on a l'équivalent d'une solution approximative de cette tâche si l'on réussit à faire de cette représentation forte une faible, à lui arracher l'affect, la somme d'excitation dont elle est grevée. La représentation faible ne pourra alors pour ainsi dire plus émettre de prétentions au travail d'association; mais la somme d'excitation qui a été séparée d'elle doit être amenée à une autre utilisation.
Jusqu'ici, les processus sont les mêmes dans l'hystérie et dans les phobies et représentations de contrainte; à partir de là les voies bifurquent. Dans l'hystérie, l'action de rendre inoffensive la représentation inconciliable se produit du fait que sa somme d'excitation est transposée dans le corporel, ce pour quoi j'aimerais proposer le nom de conversion.
La conversion peut être totale ou partielle, et se produit en suivant cette innervation motrice ou sensorielle qui se trouve dans une corrélation intime, ou davantage relâchée, avec l'expérience vécue traumatique. Le moi a ainsi obtenu d'être devenu exempt de contradiction, mais en revanche il s'est obéré d'un symbole mnésique qui, en tant qu'innervation motrice insoluble ou en tant que sensation hallucinatoire faisant constamment retour, loge dans la conscience à la façon d'un parasite, et qui subsiste jusqu'à ce qu'une conversion ait lieu dans une direction inversée.
La trace mémorielle de la représentation refoulée n'a donc pas disparu pour autant, mais forme à partir de maintenant le noyau d'un second groupe psychique.
Je ne vais plus développer qu'en peu de mots cette vision des processus psychophysiques dans l'hystérie une fois qu'un tel noyau pour une séparation par clivage hystérique a été formé dans un «moment traumatique», son agrandissement se produit dans d'autres moments que l'on pourrait nommer « traumatiques auxiliaires », dès qu'une impression de même espèce, arrivant de nouveau, réussit à percer la barrière instaurée par la volonté, à apporter à la représentation affaiblie un nouvel affect, et à provoquer par contrainte, pour un laps de temps, la connexion des deux groupes psychiques, jusqu'à ce qu'une nouvelle conversion crée une défense.
L'état ainsi atteint dans l'hystérie, quant à la répartition de l'excitation, se révèle alors, la plupart du temps, être un état labile; l'excitation poussée sur une fausse voie (l'innervation corporelle) rétrograde parfois vers la représentation dont elle a été détachée et astreint alors la personne à l'élaboration associative ou à la liquidation en accès hystériques, comme le prouve l'opposition connue des accès et des symptômes durables.
L'action de la méthode cathartique de Breuer consiste à engendrer, avec conscience du but, une telle rétroconduction de l'excitation hors du corporel dans le psychique, afin d'obtenir ensuite par contrainte l'aplanissement de la contradiction par le travail de pensée, et l'éconduction de l'excitation par le parler.
Si le clivage de conscience de l'hystérie acquise repose sur un acte de volonté, alors s'explique avec une facilité surprenante le fait remarquable que l'hypnose élargit régulièrement la conscience rétrécie des hystériques et rend accessible le groupe psychique séparé par clivage. Nous connaissons, bien sûr, comme particularité de tous les états semblables au sommeil, le fait de supprimer cette répartition de l'excitation sur laquelle repose la « volonté» de la personnalité consciente.
Partant, nous reconnaissons le facteur caractéristique de l'hystérie non pas dans le clivage de conscience mais dans la capacité de conversion, et nous sommes en droit de mentionner comme étant une part importante de la disposition, par ailleurs encore inconnue, à l'hystérie, l'aptitude psychophysique au report de si grandes sommes d'excitation dans l'innervation corporelle.
Cette aptitude n'exclut pas, en soi et pour soi, la santé psychique et elle ne conduit à l'hystérie que dans le cas d'une inconciliabilité psychique ou d'un emmagasinage de l'excitation. En prenant ce tournant nous nous rapprochons, Breuer et moi, des définitions connues de l'hystérie, celles de Oppenheim et Strümpell, et nous nous sommes écartés de Janet qui assigne au clivage de conscience un rôle démesuré dans la caractérisation de l’hystérie. La présentation donnée ici est en droit de prétendre qu’elle fait comprendre la corrélation de la conversion avec le clivage de conscience hystérique.

Cinq leçons sur la psychanalyse

Sigmund Freud Traduction par Yves Le Lay compilation de Gemma Paquet

Deuxième leçon

Conception nouvelle de l'hystérie. Refoulement et résistance. Le conflit psychique. Le symptôme est le substitut d'une idée refoulée. La méthode psychanalytique.

A peu près à l'époque où Breuer appliquait sa « talking cure », Charcot poursuivait, à la Salpêtrière, ses recherches sur l'hystérie, qui devaient aboutir à une nouvelle conception de cette névrose. La conclusion à laquelle il par­venait n'était alors pas connue à Vienne. Mais lorsque, dix ans plus tard, nous publiâmes, Breuer et moi, notre communication préliminaire sur le mécanis­me psychique des phénomènes hystériques, inspirée par les résultats du traite­ment cathartique de la première malade de Breuer, nous étions en plein sous l'influence des travaux de Charcot. Nous fîmes alors de nos traumatismes psychiques les équivalents des traumatismes physiques dont Charcot avait établi le rôle dans le déterminisme des paralysies hystériques. Et l'hypothèse des états hypnoïdes de Breuer n'est qu'un écho des expériences du professeur français relatives à la production, sous hypnose, de paralysies en tous points semblables aux paralysies traumatiques.

L'illustre clinicien, dont je fus l'élève en 1885-86, était peu enclin aux con­ceptions psychologiques. Ce fut son disciple Pierre Janet qui tenta d'analyser de près les processus psychiques de l'hystérie, et nous suivîmes son exemple, en faisant du dédoublement mental et de la dissociation de la personnalité le pivot de notre théorie. La théorie de Janet repose sur les doctrines admises en France relatives au rôle de l'hérédité et de la dégénérescence dans l'origine des maladies. D'après cet auteur, l'hystérie est une forme d'altération dégénérative du système nerveux, qui se manifeste par une faiblesse congénitale de la syn­thèse psychique. Voici ce qu'il entend par là : les hystériques seraient incapa­bles de maintenir en un seul faisceau les multiples phénomènes psychiques, et il en résulterait la tendance à la dissociation mentale. Si vous me permettez une comparaison un peu grossière, mais claire, l'hystérique de Janet fait pen­ser à une femme qui est sortie pour faire des emplettes et revient chargée de boites et de paquets. Mais ses deux bras et ses dix doigts ne lui suffisent pas pour embrasser convenablement tout son bagage, et voilà un paquet qui glisse à terre. Elle se baisse pour le ramasser, mais c'est un autre qui dégrin­gole. Et ainsi de suite.

Cependant, il est des faits qui ne cadrent pas très bien avec cette théorie de la faiblesse mentale. Ainsi, on constate chez les hystériques certaines capa­cités qui diminuent, d'autres qui augmentent, comme s'ils voulaient compen­ser d'un côté ce qui est réduit de l'autre. Par exemple, à l'époque où la malade de Breuer avait oublié sa langue maternelle ainsi que toutes les autres, sauf l'anglais, elle parlait celle-ci avec une telle perfection qu'elle était capable, quand on lui mettait dans les mains un livre allemand, de faire à livre ouvert une traduction excellente.

Lorsque, plus tard, j'entrepris de continuer seul les recherches commen­cées par Breuer, je me formai bientôt une opinion différente sur l'origine de la dissociation hystérique (dédoublement de la conscience). Une telle divergence devait se produire, puisque je n'étais pas parti, comme Janet, d'expériences de laboratoire, mais de nécessités thérapeutiques.

Ce qui m'importait avant tout, c'était la pratique. Le traitement cathartique, appliqué par Breuer, exigeait qu'on plongeât le malade dans une hypnose profonde puisque seuls les états hypnotiques lui permettaient de se rappeler les événements pathogènes qui lui échappaient à l'état normal. Or, je n'aimais pas l'hypnose ; c'est un procédé incertain et qui a quelque chose de mystique. Mais lorsque j'eus constaté que, malgré tous mes efforts, je ne pouvais mettre en état d'hypnose qu'une petite partie de mes malades, je décidai d'abandonner ce procédé et d'appliquer le traitement cathartique. J'essayai donc d'opérer en laissant les malades dans leur état normal. Cela semblait au premier abord une entreprise insensée et sans chance de succès. Il s'agissait d'apprendre du mala­de quelque chose qu'on ne savait pas et que lui-même ignorait. Comment pouvait-on espérer y parvenir? Je me souvins alors d'une expérience étrange et instructive que j'avais vue chez Bernheim, à Nancy; Bernheim nous avait montré que les sujets qu'il avait mis en somnambulisme hypnotique et aux­quels il avait fait accomplir divers actes, n'avaient perdu qu'apparemment le souvenir de ce qu'ils avaient vu et vécu sous l'hypnose, et qu'il était possible de réveiller en eux ces souvenirs à l'état normal. Si on les interroge, une fois réveillés, sur ce qui s'est passé, ces sujets prétendent d'abord ne rien savoir ; mais si on ne cède pas, si on les presse, si on leur assure qu'ils le peuvent, alors les souvenirs oubliés reparaissent sans manquer.

J'agis de même avec mes malades. Lorsqu'ils prétendaient ne plus rien savoir, je leur affirmais qu'ils savaient, qu'ils n'avaient qu'à parler et j'assurais même que le souvenir qui leur reviendrait au moment où je mettrais la main sur leur front serait le bon. De cette manière, je réussis, sans employer l'hyp­nose, à apprendre des malades tout ce qui était nécessaire pour établir le rapport entre les scènes pathogènes oubliées et les symptômes qui en étaient les résidus. Mais c'était un procédé pénible et épuisant à la longue, qui ne pouvait s'imposer comme une technique définitive.

Je ne l'abandonnai pourtant pas sans en avoir tiré des conclusions décisi­ves : la preuve était faite que les souvenirs oubliés ne sont pas perdus, qu'ils restent en la possession du malade, prêts à surgir, associés à ce qu'il sait enco­re. Mais il existe une force qui les empêche de devenir conscients. L'exis­tence de cette force peut être considérée comme certaine, car on sent un effort quand on essaie de ramener à la conscience les souvenirs inconscients. Cette force, qui maintient l'état morbide, on l'éprouve comme une résistance oppo­sée par le malade.

C'est sur cette idée de résistance que j'ai fondé ma conception des proces­sus psychiques dans l'hystérie. La suppression de cette résistance s'est mon­trée indispensable au rétablissement du malade. D'après le mécanisme de la guérison, on peut déjà se faire une idée très précise de la marche de la mala­die. Les mêmes forces qui, aujourd'hui, s'opposent à la réintégration de l'oublié dans le conscient sont assurément celles qui ont, au moment du trau­matisme, provoqué cet oubli et qui ont refoulé dans l'inconscient les incidents pathogènes. J'ai appelé refoulement ce processus supposé par moi et je l'ai considéré comme prouvé par l'existence indéniable de la résistance. Mais on pouvait encore se demander ce qu'étaient ces forces, et quelles étaient les conditions de ce refoulement où nous voyons aujourd'hui le mécanisme pathogène de l'hys­térie. Ce que le traitement cathartique nous avait appris nous permet de répon­dre à cette question. Dans tous les cas observés on constate qu'un désir violent a été ressenti, qui s'est trouvé en complète oppo­sition avec les autres désirs de l'individu, inconciliable avec les aspirations morales et esthétiques de sa personne. Un bref conflit s'en est suivi; à l'issue de ce combat intérieur, le désir inconciliable est devenu l'objet du refoule­ment, il a été chassé hors de la conscience et oublié. Puisque la représentation en question est inconciliable avec « le moi » du malade, le refoulement se produit sous forme d'exigences morales ou autres de la part de l'individu. L'acceptation du désir inconciliable ou la prolongation du conflit auraient provoqué un malaise intense ; le refoule­ment épargne ce malaise, il apparaît ainsi comme un moyen de protéger la personne psychique.

Je me limiterai à l'exposé d'un seul cas, dans lequel les conditions et l'utilité du refoulement sont clairement révélées. Néanmoins, je dois encore écourter ce cas et laisser de côté d'importantes hypothèses. - Une jeune fille avait récemment perdu un père tendrement aimé, après avoir aidé à le soigner - situation analogue à celle de la malade de Breuer. Sa sœur aînée s'étant mariée, elle se prit d'une vive affection pour son beau-frère, affection qui pas­sa, du reste, pour une simple intimité comme on en rencontre entre les mem­bres d'une même famille. Mais bientôt cette sœur tomba malade et mourut pendant une absence de notre jeune fille et de sa mère. Celles-ci furent rappelées en hâte, sans être entièrement instruites du douloureux événement. Lorsque la jeune fille arriva au chevet de sa sœur morte, en elle émergea, pour une seconde, une idée qui pouvait s'exprimer à peu près ainsi: maintenant il est libre et il peut m'épouser. Il est certain que cette idée, qui trahissait à la conscience de la jeune fille l'amour intense qu'elle éprouvait sans le savoir pour son beau-frère, la révolta et fut immédiatement refoulée. La jeune fille tomba malade à son tour, présenta de graves symptômes hystériques, et lorsque je la pris en traitement, il apparut qu'elle avait radicalement oublié cette scène devant le lit mortuaire de sa sœur et le mouvement de haine et d'égoïsme qui s'était emparé d'elle. Elle s'en souvint au cours du traitement, reproduisit cet incident avec les signes de la plus violente émotion, et le traitement la guérit.

J'illustrerai le processus du refoulement et sa relation nécessaire avec la résistance par une comparaison grossière. Supposez que dans la salle de con­férences, dans mon auditoire calme et attentif, il se trouve pourtant un indi­vidu qui se conduise de façon à me déranger et qui me trouble par des rires inconvenants, par son bavardage ou en tapant des pieds. Je déclarerai que je ne peux continuer à professer ainsi ; sur ce, quelques auditeurs vigoureux se lèveront et, après une brève lutte, mettront le personnage à la porte. Il sera « refoulé » et je pourrai continuer ma conférence. Mais, pour que le trouble ne se reproduise plus, au cas où l'expulsé essayerait de rentrer dans la salle, les personnes qui sont venues à mon aide iront adosser leurs chaises à la porte et former ainsi comme une « résistance ». Si maintenant l'on transporte sur le plan psychique les événements de notre exemple, si l'on fait de la salle de conférences le conscient, et du vestibule l'inconscient, voilà une assez bonne image du refoulement.

C'est en cela que notre conception diffère de celle de Janet. Pour nous, la dissociation psychique ne vient pas d'une inaptitude innée de l'appareil mental à la synthèse ; nous l'expliquons dynamiquement par le conflit de deux forces psychiques, nous voyons en elle le résultat d'une révolte active de; deux cons­tellations psychiques, le conscient et l'inconscient, l'une contre l'autre. Cette conception nouvelle soulève beaucoup de nouveaux problèmes. Ainsi le conflit psychique est certes très fréquent et le « moi » cherche à se défendre contre les souvenirs pénibles, sans provoquer pour autant une dissociation psychique. Force est donc d'admettre que d'autres conditions sont encore requises pour amener une dissociation. J'accorde volontiers que l'hypothèse du refoulement constitue non pas le terme mais bien le début d'une théorie psy­chologique ; mais nous ne pouvons progresser que pas à pas, et il faut nous laisser le temps d'approfondir notre idée.

Qu'on se garde aussi d'essayer d'interpréter le cas de la jeune fille de Breuer à l'aide de la théorie du refoulement. L'histoire de cette malade ne s'y prête pas, car les données en ont été obtenues par l'influence hypnotique. Ce n'est qu'en écartant l'hypnose que l'on peut constater les résistances et les refoulements et se former une représentation exacte de l'évolution pathogène réelle. Dans l'hypnose, la résistance se voit mal, parce que la porte est ouverte sur l'arrière-fonds psychique ; néanmoins, l'hypnose accentue la résistance aux frontières de ce domaine, elle en fait un mur de fortification qui rend tout le reste inabordable.

Le résultat le plus précieux auquel nous avait conduit l'observation de Breuer était la découverte de la relation des symptômes avec les événements pathogènes ou traumatismes psychiques. Comment allons-nous interpréter tout cela du point de vue de la théorie du refoulement? Au premier abord, on ne voit vraiment pas comment. Mais au lieu de me livrer à une déduction théorique compliquée, je vais reprendre ici notre comparaison de tout à l'heure. Il est certain qu'en éloignant le mauvais sujet qui dérangeait la leçon et en plaçant des sentinelles devant la porte, tout n'est pas fini. Il peut très bien arriver que l'expulsé, amer et résolu, provoque encore du désordre. Il n'est plus dans la salle, c'est vrai ; on est débarrassé de sa présence, de son rire moqueur, de ses remarques à haute voix ; mais à certains égards, le refoule­ment est pourtant resté inefficace, car voilà qu'au-dehors l'expulsé fait un vacarme insupportable ; il crie, donne des coups de poings contre la porte et trouble ainsi la conférence plus que par son attitude précédente. Dans ces conditions, il serait heureux que le président de la réunion veuille bien assu­mer le rôle de médiateur et de pacificateur. Il parlementerait avec le person­nage récalcitrant, puis il s'adresserait aux auditeurs et leur proposerait de le laisser rentrer, prenant sur lui de garantir une meilleure conduite. On décide­rait de supprimer le refoulement et le calme et la paix renaîtraient. Voilà une image assez juste de la tâche qui incombe au médecin dans le traitement psychanalytique des névroses.

Exprimons-nous maintenant sans images l'examen d'autres malades hysté­riques et d'autres névrosés nous conduit à la conviction qu'ils n'ont pas réussi à refouler l'idée à laquelle est lié leur désir insupportable. Ils l'ont bien chassée de leur conscience et de leur mémoire, et se sont épargné, apparemment, une grande somme de souffrances, mais le désir refoulé continue à subsister dans l'inconscient; il guette une occasion de se manifester et il réapparaît bientôt à la lumière, mais sous un déguisement qui le rend méconnaissable; en d'autres termes, l'idée refoulée est remplacée dans la conscience par une autre qui lui sert de substitut, d'ersatz, et à laquelle viennent s'attacher toutes les impres­sions de malaise que l'on croyait avoir écartées par le refoulement. Ce subs­titut de l'idée refoulée - le symptôme - est protégé contre de nouvelles attaques de la part du « moi » ; et, au lieu d'un court conflit, intervient mainte­nant une souffrance continuelle. A côté des signes de défiguration, le symp­tôme offre un reste de ressemblance avec l'idée refoulée. Les procédés de formations substitutives se trahissent pendant le traitement psychanalytique du malade, et il est nécessaire pour la guérison que le symptôme soit ramené par ces mêmes moyens à l'idée refoulée. Si l'on parvient à ramener ce qui est refoulé au plein jour - cela suppose que des résistances considérables ont été surmontées -, alors le conflit psychique né de cette réintégration, et que le malade voulait éviter, peut trouver sous la direction du médecin, une meil­leure solution que celle du refoulement. Une telle méthode parvient à faire évanouir conflits et névroses. Tantôt le malade convient qu'il a eu tort de refouler le désir pathogène et il accepte totalement ou partiellement ce désir; tantôt le désir lui-même est dirigé vers un but plus élevé et, pour cette raison, moins sujet à critique (c'est ce que je nomme la sublimation du désir); tantôt on reconnaît qu'il était juste de rejeter le désir, niais ou remplace le méca­nisme automatique, donc insuffisant, du refoulement, par un jugement de condamnation morale rendu avec l'aide des plus hautes instances spirituelles de l'homme ; c'est en pleine lumière que l'on triomphe du désir.

Je m'excuse de n'avoir pas décrit de façon plus claire et plus compré­hensible les principaux points de vue de la méthode de traitement appelée maintenant psychanalyse. Les difficultés ne tiennent pas seulement à la nouveauté du sujet. De quelle nature sont les désirs insupportables qui, malgré le refoulement, savent encore se faire entendre du fond de l'inconscient? Dans quelles conditions le refoulement échoue-t-il et se forme-t-il un substitut ou symptôme? Nous allons le voir.

Sigmund Freud
(Cinq leçons prononcées en 1904 à la Clark University, Worcester (Mass.) publiées originalement dans l’American Journal of Psychology en 1908. Cet essai a été précédemment publié dans la « Bibliothèque Scientifique des Éditions Payot, Paris ». « Cinq leçons sur la Psychanalyse » a été traduit par Yves LE LAY.